Aimez vos ennemis | Homélie du 17 février 1996

Au-delà des frontières de l’impossible

C’était pendant la seconde guerre mondiale : un jeune français – j’allais dire un gamin de 20 ans… Gamin ! C’était le mot de jeunesse qui rime avec tendresse…- Bref, il faisait partie de la Résistance dans un maquis des landes bretonnes. Il s’appelait Yannick. Il tombe dans une embuscade allemande. Se trouve nez à nez avec un jeune soldat allemand de son âge. Il s’appelait Franz. Des deux côtés, on déclenche des tirs. Sous les feux croisés, ils tombent tous les deux. Morts. En une seconde.

Dès la fin de la guerre, vous savez ce qu’elle a fait la mère de Yannick ? Après maintes recherches, elle a fini par retrouver où habitait la mère de Franz. Elle a fait le voyage en Allemagne pour l’embrasser en signe de compassion, mais aussi de réconciliation entre les deux pays qui étaient ennemis. Visitation d’amour ! La mère de Yannick est tombée dans les bras de la mère de Franz en disant : "Nous sommes deux soeurs dans la même douleur !" Ca, c’était un baiser de paix qui compte !

Oui, je ne connais rien de plus exigeant, de plus fou, de plus surhumain que cette parole de Jésus dans l’évangile d’aujourd’hui : "Aimez vos ennemis !" Mais peut-être vous dites-vous : "Cette parole n’est pas pour moi : je n’ai pas d’ennemi…" A savoir !

L’ennemi au quotidien

Ennemi ! Ne voyez pas à travers ce mot seulement un monstre de guerre. Regardez bien dans votre vie, votre voisinage, votre famille, au travail. C’est l’ennemi au quotidien ! On n’ose pas se l’avouer. On aurait honte car ce mot est très fort. Effectivement, je ne vois pas un père, une mère, dire de leur enfant avec qui il serait en profonde mésentente : "Mon fils, ma fille, c’est mon ennemi". Réciproquement, je ne vois pas des enfants dire de leurs parents avec qui ils sont brouillés : "Ce sont mes ennemis!"

Et pourtant ! Dès lors que – vis à vis d’un de nos proches – dans notre coeur gronde le tumulte de la rancoeur, ça se passe en nous comme s’il était un ennemi ; cela même si nous n’en avons pas clairement conscience.

Aimer ces ennemis ne veut pas dire éprouver pour eux de l’affection ou de la sympathie. Sous couvert de charité, il ne s’agit pas de faire des sourire hypocrites. C’est bien ce que manifeste Jésus à l’égard des pharisiens, des scribes et des prêtres qui se déclaraient prêtre des ennemis : il n’est pas tendre avec eux. Il les traite de tous les noms.

Par-donner

Pardonner, c’est donner d’avantage d’amour que ce que l’autre a pu donner en méchanceté. Davantage ! Voilà qui traduit la phrase symbole de l’évangile : "Si on te requiert pour faire un mille, fais-en deux !" Le pardon, c’est de l’amour à haute dose. Et là, même si le mot ne fait pas plaisir, il s’agit de vivre ce que le Christ a également manifesté : se sacrifier.

Se sacrifier, au sens étymologique : rendre sacré l’amour. redonner à l’amour sa valeur sacrée en le purifiant de tout ressentiment. Concrètement, cela veut dire passer outre ses rancunes, ses susceptibilités, ses meurtrissures. Paradoxe : l’amour nous fait mal pour faire le bien. Le pardon, c’est comme une brûlure d’amour là où il y a blessure de l’injure.
 Quoi d’étonnant que dans ce déchirement intérieur, même les meilleurs laissent échapper ce cri : "Je n’arrive pas à pardonner "ça", je ne peux le mettre au-dessus de moi !" Et je la sais, pour les uns et les autres, que de plaies mal cicatrisées contient ce petit démonstratif "ça" !"

Il faut d’abord s’apaiser, retrouver la sérénité, car on ne fait rien de bon sans la sérénité. J’aimerais alors vous dire une chose simple : éprouver cette résistance à pardonner, c’est normal.

Tel, un baptême de Désir…
 Ne croyez pas pour autant que vous êtes en dehors du pardon ! On peut psychologiquement demeurer traumatisé par le mal qu’on nous a fait et, au plan évangélique, être sur la voie du pardon. Cela, du moment au moins où l’on ne refuse pas le désir de pardonner. Ce n’est pas parce que, au plan humain, nous sommes viscéralement bloqués par la meurtrissure du mal, qu’au plan de la foi nous ne sommes pas sur la bonne voie… Distinguez bien ce plan du "ressenti" et le plan où, dans la foi, vous avez consenti à entrer dans la mouvance de l’Esprit. Car, en définitive, c’est Lui qui pardonne à travers notre "volonté bonne " de pardonner !

Alors, vivez le cheminement du pardon comme un baptême de désir, et Dieu saura bien prendre votre désir pour une réalité. Dieu ne vous demande pas de parvenir pleinement à pardonner, mais au moins d’essayer. Et cela concrètement, en prenant de la distance, en dédramatisant. Essayer, c’est déjà adopter le pardon, l’adapter à votre capacité. Alors, vous verrez combien le pardon libère, purifie le regard sur l’autre. Le pardon est une épreuve, mais c’est aussi une joie.

Dans le geste de paix que nous échangeons au sommet de cette eucharistie, faîtes passer ce désir du pardon en faveur de quelqu’un dans le secret de votre coeur. Cela afin que se réalise ce que nous allons demander auparavant : "Notre Père…pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés", c’est à dire dans la mesure où nous nous mettons en chemin du pardon.

Le chrétien est un apprenti
 L’Amour est son maître.
 Nul ne se connaît tant qu’il n’a pas souffert pour pardonner.
 Nul ne sait s’il est vraiment chrétien, je veux dire vraiment évangélisé, tant qu’il n’a pas aimé jusqu’à pardonner !

Références bibliques :

Référence des chants :