Beaucoup sont appelés, mais peu sont élus | Homélie du 26 août 2001

Cette expression a fait couler beaucoup d’encre. Slogan de beaucoup de sectes contemporaines elle fut une des bases du jansénisme qui fit tant de mal dans notre Église de France, et jusqu’à une époque récente. Peut-être conservez-vous dans vos familles un de ces crucifix anciens que l’on appelait les crucifix jansénistes, sur lesquels les deux mains du Christ sont cloués de façon très rapprochées, les bras presque à la verticale. On prétendait montrer ainsi que le Christ ne voulait saisir, dans ses bras étendus qu’une faible portion de l’humanité.

Gageons que cette phrase du Christ : " Beaucoup sont appelés mais peu sont élus " signifie quelque chose de plus intéressant, et de plus vivant qu’une condamnation massive de la majeure partie de l’humanité.

Dans la première lecture de ce jour, Isaïe annonce l’intention de Dieu : " Je viens rassembler les hommes de toutes nations et de toutes langues ". En Dieu, un seul désir : voir toute l’humanité parvenir à la réussite. Hors de cette volonté unique de salut universel, toute supposition d’une quelconque ségrégation de la part de Dieu ne peut être que blasphématoire.

Si nous voulons à tout prix que Dieu soit un juge sévère qui trie et qui exclut, cela vient de nous et de notre incapacité à entrer, nous-mêmes, dans un amour universel. Un tel amour, nous avons du mal ne serait-ce qu’à l’imaginer. Même dans nos vies familiales, à plus forte raison dans nos rencontres de quartier ou d’immeuble, dans nos rapports de travail, nous sentons combien notre égoïsme perturbe les relations. Alors que l’amour et l’amitié devraient régner, la jalousie et la rivalité dominent. Dans nos amitiés, l’intérêt fait prévaloir ses prétentions. Le pardon nous est très difficile. Voilà pourquoi nous trions avec soin nos relations. En l’occurrence, trier consiste à exclure. Nous en venons à dire que les amis se comptent toujours sur les doigts et que la réussite d’un couple tient de la loterie.

C’est bien cette douloureuse expérience-là que nous projetons sur Dieu. Nous le voudrions incapable, lui aussi, d’amour universel pour pouvoir le rendre responsable du " petit nombre d’élus ".

En Dieu, il ne peut en être ainsi.

Pensons aux nombreuses rencontres de Jésus racontées dans l’Évangile. Elles sont toujours empreintes d’une immense tolérance, d’une totale compréhension. Mais elles expriment aussi de fortes exigences. A la femme adultère, par exemple, qu’il vient de sauver de la lapidation, il dit : " Moi non plus je ne te condamne pas ". Et l’on admire toute la compréhension de Jésus. Cependant il ajoute aussitôt : " Va et ne pèche plus ". C’est ici que l’on mesure la grande liberté de Jésus. A la gratification immédiate que lui vaudrait sa seule compréhension, Jésus préfère une gratification plus solide, mais plus risquée, fondée sur l’effort vers plus de vérité.

A un autre niveau, nous sommes encore piégés par notre propre expérience. En effet, lorsque, malgré tout, nous voulons aimer tout le monde, nous sommes tentés de tout aseptiser dans nos relations. Nous refusons les conflits, nous fuyons les affrontements au prix de beaucoup de démissions. Nous avons alors le sentiment d’aimer tout le monde, mais c’est une illusion puisqu’en fait nous n’aimons personne vraiment.

Nous pouvons alors imaginer un Dieu à notre image qui, pour nous aimer tous, nous blanchirait artificiellement et refuserait de tenir compte de tout ce qui en nous a du mal à se laisser aimer. Ce n’est pas ainsi que Dieu nous aime.

Dieu attend une réponse libre de notre liberté. Il nous aime tous, il l’a montré. Il espère que chacun de nous osera prendre vers lui le chemin que, le premier, il a osé prendre vers nous, celui du renoncement à notre gloriole, à notre gratification immédiate. " Le Fils de Dieu ne retint pas jalousement le rang qui l’égalait à Dieu mais il s’anéantit, se faisant semblable aux hommes et mourant sur la croix " (Phil. II 6-7).

Ce chemin est un chemin douloureux.

Elle est ici la porte étroite. Elle est de notre côté. C’est nous qui la rendons de plu en plus étroite par nos lenteurs, par nos refus. De grâce, n’en accusons plus Dieu.

Les élus et les non-élus dont parle Jésus ne sont pas ceux du Paradis. Ils sont chez nous, sur notre terre et nous sommes tous du nombre. Tous appelés à emprunter les chemins du courage et de la recherche de la vérité, soyons nombreux à nous décider pour ce chemin-là. Déjà nous serons alors du nombre des élus.
 

Références bibliques :

Référence des chants :