De la peur à la réconciliation | Homélie du 28 juin 1997

Les disciples, rassemblé avec effroi derrière des portes verrouillées nous parlent très directement. En effet, nous aussi, chrétiens et chrétiennes, vivons aujourd’hui un temps marqué par la peur. La peur est une disposition fondamentale de l’humain d’aujourd’hui, et notre temps est devenu un temps de la peur. La peur transforme notre existence en un huis-clos de cauchemar. Car qui ne peut se défaire de sa peur, ne peut plus, en fin de compte, se défaire de lui-même. Il devient au contraire prisonnier de lui-même. C’est, en vérité, un effrayant cercle vicieux. Et ce cercle dans lequel l’humain ne rencontre que lui-même et sa propre peur en tout ce qu’il fait et vit, s’avère être le plus terrible de tous les cercles vicieux.

Dans cette situation existentielle oppressante, c’est une guérison et un salut extraordinaires qui se manifestent, quand quelqu’un fait irruption dans cette prison de la peur et brise cette solitude cauchemardesque, comme le Ressuscité le fait avec les disciples le premier jour de la semaine ! Et comme il l’a fait également avec nous dans ce Deuxième Rassemblement OEucuménique européen… Il se produit une délivrance grandiose de ce terrible cercle vicieux, dans lequel chacun est seul avec sa propre peur, quand le Ressuscité en triomphe avec le cercle joyeux de son salut de paix. Ce cadeau a pour nom "réconciliation". Il a le pouvoir de transformer peur en joie : "En voyant le Seigneur, les disciples furent tout à la joie" (Jean XX, 20b).

Dans ce rassemblement nous avons expérimenté la peur, et la joie à la fois. Lors de la préparation, la peur était grande que par le mot de réconciliation la faute ne soit banalisée et que des injustices ne soient recouvertes d’un manteau bon marché, celui d’une considération et d’une indulgence également fausses. A mesure que, dans nos rencontres, dialogues et prières, nous sommes rentrés dans le message biblique de la réconciliation, il nous est apparu de plus en plus clairement que la réconciliation était tout sauf quelque chose d’anodin et surtout pas une entreprise à bon marché. Cela surtout quand nous étalonnons notre mission de réconciliation à l’événement de la réconciliation en Jésus Christ. Ce fut une rude tâche. Car ce n’est rien de moins qu’un amour conséquent pour les ennemis, l’amour de Dieu tel qu’il s’est manifesté à la croix. Sur cette croix Dieu lui-même a mis fin à toute espèce de vengeance et de représailles et il a établi le fondement de toute réconciliation.

Face à la croissance humaine – et trop humaine – du mal, Dieu n’a pas réagi par des mécanismes de vengeance, mais par un accroissement de son amour infini. Ainsi la croix est-elle "expression et somme de la cruauté humaine, et expression et somme de l’amour infini des ennemis" (K. Bergo).

A la suite de Dieu, nous sommes appelés aujourd’hui, nous chrétiens, à accomplir notre tâche de réconciliation. C’est une rude tâche qu’il n’est possible d’entreprendre que sur le réalisme d’une spiritualité oecuménique de la réconciliation. L’évangile nous donne un mot d’ordre décisif qui nous indique en quoi cela consiste au juste : les disciples sont envoyés pour expulser du monde ce qui est vieux et caduc, à savoir la faute, et pour apporter au monde du nouveau, à savoir le pardon. Au coeur de la mission de paix des disciples de Jésus réside par conséquent la pratique sublime de l’amour qui fait déposer les armes. Mais l’amour des ennemis n’est pas pour des êtres faibles. Il requiert des humains forts et exige avant tout le courage d’appeler ouvertement la faute par son nom, et de la dénoncer comme telle, de même que les pêchés structurels du monde et de l’Eglise d’aujourd’hui.

Cette tâche nous ne pouvons la remplir qu’à l’aide de la puissance spirituelle. C’est-à-dire, littéralement, en demandant la venue et l’illumination du Saint-Esprit et en laissant descendre sur nous la consolation du Ressuscité : "Recevez l’Esprit Saint !" (Jean XX, 22). C’est cet Esprit justement qui nous envoie. Le souhait de paix du Ressuscité à des disciples apeurés s’accomplit lui-même en mission de paix. Une vie qui passe de la peur à la joie ne peut se suffire à elle-même, mais elle veut continuer à s’offrir. Dans ce rassemblement nous avons de même laisser la paix de Jésus Christ interrompre le cours de notre vie, en vue du salut, ceci dans la mesure où nous repartons maintenant ensemble avec lui, afin de mettre chaque jour notre bouche, nos bras et nos jambes à la disposition de sa réconciliation.

Entre l’irruption (Ein-Bruch) du Christ dans la solitude peureuse des disciples et notre départ (Auf-Bruch) à nous chrétiens, il y a la rupture (Durch-Bruch) de notre conversion : "La réconciliation qui vient de Dieu nous fait passer par la porte étroite de la pénitence et conduit à la large vallée d’une vie réconciliée". Ainsi s’exprime de façon très belle notre texte de base, qui résume ainsi l’axe de ce rassemblement. Car nous-mêmes sommes avant tout et toujours ceux qui reçoivent : des assoiffés de paix, impatients de justice, des mendiants de réconciliation et finalement des assoiffés de Dieu. Mais ce que nous recevons de Dieu, nous devons le redonner et le partager avec les autres humains, de sorte qu’ils puissent eux aussi participer à ce cadeau. Entre les deux se situe le chas d’aiguille – l’étroit passage – de notre conversion, sans laquelle rien ne peut changer.

Si quelque chose change en nous, si nous même, libérés du carcan de la peur, agissons en faveur de la réconciliation, c’est l’oeuvre de l’Esprit Saint. Dès lors, que pourrions-nous faire de plus sensé et de plus libérateur dans cette célébration de bénédiction et d’envoi que d’implorer la venue du Saint-Esprit, afin que Lui-même nous prépare à notre tâche de réconciliation et fasse de nous des hommes et des femmes réellement spirituels ?

Nous deviendrons des êtres spirituels avant tout par la prière. C’est le lieu où nous recevons la réconciliation de Dieu. Ce n’est pas par hasard si, dans le Sermon sur la montagne, Jésus lie sa demande d’aimer ses ennemis à la demande qui suit : "Priez pour ceux qui vous persécutent" (Matthieu V, 44). La force libératrice de la prière réside en ceci que les ennemis se transforment en frères et soeurs. Ainsi la prière est-elle un "lieu de soins intensifs" de la réconciliation.

Cette réconciliation nous est offerte au baptême qui est le lien d’unité le plus profond entre nous chrétiens et les Eglises. Ce baptême nous engage. Car ce qui est baptisé entre dans une responsabilité personnelle, non pas pour être "lavé à toutes les eaux", mais pour "être purifié par l’eau de la justice, de la paix, de l’unité et de la réconciliation". En prenant au sérieux cette responsabilité, nous voulons nous mettre en chemin et situer notre vie au coeur de la promesse de Jésus Christ : "La paix soit avec vous ! Comme mon Père m’a envoyé, moi aussi je vous envoie. Recevez l’Esprit Saint."

Amen.

Références bibliques :

Référence des chants :