Homélie de la messe à Paris (19e) | Homélie du 19 mars 2017

« J’ai soif »

Elle a soif, la Samaritaine. Et pas seulement d’eau. Manifestement, elle a soif de parler à quelqu’un et d’entendre une parole de vérité.

Et comme elle a eu cinq maris, plus l’homme avec lequel elle vit et qui n’est pas son mari, je crois pouvoir dire sans risque qu’elle a soif d’hommes. Être ou avoir été la femme de cinq ou six hommes dans un village de la taille de Sichem, soyons clairs : c’est avoir partagé sa vie et sa couche avec un bon quart du personnel masculin de l’arrondissement. En français, nous disposons de toute une série de termes brefs et énergiques pour qualifier ce comportement…

Or c’est à cette femme que Jésus s’intéresse. À elle spécifiquement. Parce que Jésus préfère toujours les femmes — et les hommes — qui ont soif. La pécheresse, les disciples, Nicodème, le jeune homme riche, Marie-Madeleine, tous les quémandeurs de miracles, la liste est longue des assoiffés qui peuplent l’Évangile.

De sorte que lorsque nous pensons : « Jésus est bien bon d’avoir pitié de cette pauvre fille », nous avons tort. En réalité, Jésus n’a pas pitié de la Samaritaine. Elle l’intéresse vraiment. Précisément parce qu’elle a soif. Si elle n’avait soif de rien, ni d’eau, ni de parole, ni d’amour, il ne pourrait rien pour elle.

Car Jésus ne nous donne qu’autant que nous avons soif. Et nous avons soif, heureusement ! Nous avons souvent du mal à l’avouer et parfois à nous l’avouer à nous-mêmes, mais tous, nous avons soif. Soif de reconnaissance, soif de vérité, soif de compréhension, soif de paix, soif de justice, soif de guérison, soif d’amour.

Nous avons une telle soif que nous tentons de l’étancher par des succédanés, le bavardage à la place de la parole, l’idéologie à la place de la vérité, la vanité à la place de la reconnaissance, et à la place de l’amour… Je vous laisse deviner. C’est l’éternel vieux piège qui consiste à croire que ce besoin en nous, nous allons le combler par nous-mêmes.

Mais non. Notre soif fondamentale, ce besoin instinctif, primaire, inextinguible, d’aimer et d’être aimé, nous dépasse et nous dépassera toujours. Rien de ce que nous puiserons de nos mains ne l’étanchera jamais. La vérité, c’est que tout amour vient de Dieu et que Dieu seul peut nous désaltérer. Reconnaître cela, admettre que nous avons besoin et soif de quelque chose, n’importe quoi, une parole, un conseil, une écoute, un geste, un regard, une embrassade, un cri de tendresse, un silence d’amitié, un mot de pardon, — que nous avons toujours, même mariés, entourés de parents et d’enfants et d’amis, cette soif sans fond d’aimer et d’être aimé, — reconnaître cela, c’est être ouvert au Christ.

Le carême, frères et sœurs, puisque nous sommes en carême, — le carême ne consiste pas à remplacer le chocolat par les brocolis, et à nous faire mal comme si nous offrions quelque sacrifice, alors même que le Christ a aboli les sacrifices. Le carême consiste à constater, à retrouver, à avouer la soif en nous. Le manque. Le désir. L’appel fondamental et instinctif auquel Dieu seul répond.  Si, tels la Samaritaine, nous nous tournons vers le Christ en avouant : « Tu dis vrai, j’ai soif de vérité et d’amour », alors du côté ouvert du Christ jaillit l’eau véritable, la force d’aimer, la douceur d’être aimé. Et c’est Pâques, Pâques en nous-mêmes, ici et maintenant.