Homélie de la messe à Paris (20e) | Homélie du 12 mars 2017

Libre d’aimer

Que se passe-t-il ? Saint Matthieu a-t-il perdu la tête ? Habituellement, les évangiles racontent des choses toutes simples, les gestes et les paroles ordinaires de la vie de Jésus. Avec la Transfiguration, on semble en plein délire ! Jésus resplendit comme le soleil. Moïse et Élie, morts depuis longtemps, discutent avec Lui. Une nuée lumineuse recouvre tout le monde. La voix de Dieu se fait entendre. On a l’impression d’assister à une scène qui confine au cinéma fantastique.

Pourquoi l’Église nous fait-elle entendre un évangile si extravagant chaque deuxième dimanche de Carême ? Tout simplement parce que c’est à ce moment solennel que Jésus manifeste le choix de monter vers sa Pâque. Comprenons bien cela.

Sur la Montagne, Jésus jouit par anticipation, avant même de passer par la mort, des atours de sa résurrection : la blancheur, la lumière, le visage resplendissant. Si Jésus est transfiguré, c’est que le Père lui donne déjà sa gloire de ressuscité, à ce moment précis de sa vie humaine. Il fallait que son Père la lui propose. Le choix de Jésus d’aller jusqu’à la croix se devait d’être libre : or, pour choisir de mourir, il fallait qu’il puisse aussi choisir de ne pas mourir… et sans perdre au change. La Transfiguration, c’est le moment où Jésus, dans son humanité a eu la possibilité de vivre à jamais sans passer par sa mort.

Or, « levant les yeux, les trois disciples ne virent plus personne, sinon lui, Jésus, seul. » Sans sa gloire ! Sans son Père ! Pourquoi Jésus redescend-il de la montagne sans cette gloire alors que les dons du Père sont irrévocables. La clé de l’évènement est bien là. Si Jésus n’a pas gardé la gloire donnée par son Père, c’est parce qu’il l’a refusée. Il choisit de ne pas la garder et préfère aller jusqu’à Jérusalem, où il sait pourtant qu’il mourra. N’est-il pas devenu fou ? Pourquoi va-t-il vers la mort s’il peut faire autrement ?

Chers amis, ce choix, c’est le choix de l’amour. Jésus ne cherche pas tant à mourir pour mourir. S’il affronte la mort, c’est pour se faire solidaire de tous les hommes, qui sont mortels. C’est pour les ramener à la vie. Les pères de l’Église[1] disent que « ce qui n’est pas assumé n’est pas sauvé ». En toute liberté, la liberté de l’amour, Jésus assume la mort pour en sauver l’homme.

Le choix que fait Jésus lors de la Transfiguration, c’est le choix libre de renoncer à son intérêt propre, à sa gloire personnelle pour donner sa vie à ceux qu’il aime. C’est un projet fou auquel même le Père se soumet en donnant son aval. Ici, ce n’est pas le Fils qui obéit au Père. C’est le Père qui obéit au Fils. Il le confirme en disant aux disciples : « écoutez-le ». Le Père soutient son Fils dans ce projet de la croix que Jésus seul pouvait choisir, librement. Sans une pleine liberté de Jésus, sa mort ne serait pas de l’amour, mais une immolation fanatique.

Jésus n’est pas fou, il est libre d’aimer. Libre d’aimer, comme le furent Moïse et Élie, eux qui ont souffert sur la Montagne pour le salut de leur peuple. Libre d’aimer, comme le comprennent Pierre, Jacques et Jean qui devront en témoigner après la résurrection.

Frères et sœur, avec Jésus, choisissons de monter vers Pâques. Pour cela, redescendons de la montagne de la Transfiguration. Renonçons à nos propres lieux de gloire, de pouvoir, ces lieux où l’on brille Choisir Dieu, ce n’est pas échapper aux croix de ce monde, c’est s’en rendre solidaire. Notre chemin de carême est précisément un chemin vers l’autre car il est le libre choix de l’amour, le libre choix de Dieu. Choisissons Dieu librement pour être chrétien dans le monde.

 

 

[1] Athanase d’Alexandrie