Homélie de la messe à Paris | Homélie du 13 juillet 2013

« France, qu’as-tu fait des promesses de ton baptême ? » Il y a plus de trente ans, Jean-Paul II nous interpellait collectivement. Il s’adressait à la communauté nationale comme à une personne. Il ne parlait pas « aux Français » comme à une simple somme de citoyens, mais à la France tout entière.

La messe pour la France résonne ainsi : il ne s’agit pas tant, aujourd’hui, de prier pour les Français que de prier pour la France. La France, c’est une nation. Et une nation, c’est beaucoup plus qu’une foule d’individus. Quand bien même la folie humaine les détruirait tous, la nation resterait. Pour dire cela, les anciens Grecs évoquaient la barque de Delphes. C’était une barque sacrée, pieusement conservée dans un temple. Avec les années, les lames de bois usées avaient toutes été changées, les unes après les autres, de sorte qu’il n’en restait plus une seule du bateau originel. Et cependant, c’était toujours la barque de Delphes et toujours vénérée malgré les siècles. Ainsi vont les nations dont les hommes changent, les frontières évoluent, les peuples se transforment au contact du temps, des luttes et des mémoires.

Qu’est-ce qu’une nation ? C’est une histoire, c’est un esprit, c’est un destin.

C’est d’abord une histoire traversée par d’autres histoires. Notre intervention au Mali le montre bien : les peuples du Mali nous ont accueillis avec enthousiasme parce que nos histoires se sont conjuguées pendant un temps. Et malgré tout ce que cette conjonction a pu comporter d’erreurs, elle a forgé un lien. Aucun tamis ne peut évincer le passé. L’histoire d’un homme façonne un homme, l’histoire de la France forme la France. La même terre de notre douce France, si elle avait été arrosée de moins de batailles, de moins d’invasions ou de moins de conquêtes, eut donné une autre France. Les mêmes esprits, mais irrigués de moins de christianisme, de moins de philosophies ou de moins d’arrogance, eurent livré une autre France. Taire l’histoire, c’est raboter la France. Et ainsi, de toutes les nations. Revenons sur notre histoire nationale, non pour nous complaire dans un passé glorieux, mais pour y lire notre identité actuelle.

C’est ensuite un esprit qui, souvent, se révèle par contraste quand on voyage dans d’autres nations. L’esprit d’un pays s’élabore lentement comme un vin précieux. Il faut au vin un terroir, un ou plusieurs cépages, puis une vinification complexe où se mêlent la compétence humaine et le climat incertain. Selon le soleil, pour le même vin, il y a de grandes ou de petites années. Tous ses éléments se retrouvent dans l’esprit d’une nation : une terre, le terroir de l’esprit ; un ou des peuples, le cépage de l’esprit ; une culture riche mais toujours complexe, la vinification de l’esprit ; et, enfin, un climat international qui l’infirme ou le confirme dans ses qualités. Ainsi, la France, c’est aussi un esprit français qui pénètre ses membres.

C’est enfin un destin commun. Qu’est-ce à dire ? Nous avons regardé notre nation sur son passé, c’est son histoire. Nous avons regardé notre nation sur son présent, c’est son esprit. Il faut aussi la regarder sur son avenir. Une nation, c’est un même destin pour tous. Du capitaine au passager, de celui qui reste à celui qui passe, de l’homme du pays à l’étranger, tous partagent le même sort pourvu qu’ils soient dans le même bateau. S’il coule, ils coulent ensemble. S’il arrive à bon port, ils gagnent ensemble. Et donc, bien plus qu’une même nationalité, notre destin commun fait la France. Je pense ce matin à nos légionnaires : étrangers, ils combattent et ils meurent pour la France. Ils acceptent de partager son destin. Ils appartiennent ainsi, et de plein droit, à la France.

France, qu’as-tu fait de ton baptême ? Et vous, nations du monde, qu’avez-vous fait de votre vocation d’amour ? Prenez-vous votre place dans la recherche inquiète de la justice ? « Quel est le prochain de l’homme blessé ? », demande Jésus dans l’évangile. Chacun, personnellement, répond avec ses élans et ses faiblesses. Mais, collectivement aussi, une nation doit chercher une réponse à partir des privilèges ou des détresses qui sont les siennes. Nous voyons des pays affamés sur nos routes mercantiles, saurons-nous faire le détour pour panser leurs plaies ou poursuivrons-nous notre route d’hommes affaiblis ou affairés ? Pour aller dans le sens de l’amour, je termine par la réflexion d’un militaire, rencontré dans un de nos hôpitaux, en service de psychiatrie. Naguère blessé dans son psychisme au cours d’une action de guerre, il était en plein syndrome post-traumatique. Après des mois de soins, il me livrait son horizon dans une formule merveilleuse : « aujourd’hui, je sais que mon prochain sera ma guérison. » France souffrante, nation traversée de tristesse, regarde vers ta guérison : ne te détourne pas de ton prochain, mais détourne-toi vers lui. Ton prochain sera ta guérison.

Références bibliques : Dt 30, 10-14 ; Ps 18 ; Col 1, 15-20 ; Lc 10, 25-37

Référence des chants : Liste des chants de la messe du 14 juillet à Paris