Homélie de la messe célébrée en l'église Saint-Rémi à Avançon (Ardennes) | Homélie du 19 novembre 2005

"Il est l’agneau et le pasteur." Tel était, il y a un instant, le refrain que nous avons chanté pour accompagner notre prière avec le psaume 22. Comment Jésus peut-il être à la fois l’un et l’autre… l’agneau et le pasteur ?

Et ce n’est pas le seul paradoxe que nous retrouvons aujourd’hui au coeur de l’Écriture pour contempler le visage du Christ.
– Aujourd’hui, il est en même temps le juge… et celui qui est jugé… Il est en même temps celui qui délivre et celui qui est en prison… « J’étais en prison… »
– Aujourd’hui, il est en même temps celui qui guérit de toute souffrance jusqu’à détruire le dernier ennemi, la mort, et celui qui souffre « J’étais malade »…
– Aujourd’hui, il est en même temps le roi de gloire, qui trône et l’humilié, nu, cloué sur une croix… « J’étais nu… » Christ-Roi !

Il me semble déjà que nous pouvons accueillir ces évocations, sinon contradictoires, pour le moins paradoxales, du visage de Dieu, pleinement révélé en Jésus, comme une invitation pressante à ne jamais enfermer Dieu dans des définitions, aussi belles soient-elles. Dieu est tellement plus grand que tous les mots dont nous pouvons user – et dont il nous faut humblement user – pour parler de lui. N’est-ce pas d’ailleurs ce que le Ressuscité a voulu dire à Marie-Magdeleine au matin de Pâques : « Ne me retiens pas […] va trouver mes frères et dis leur… »

Un tel chemin de contemplation de Dieu aux visages multiples peut nous conduire alors à demander la grâce de ne jamais non plus enfermer un autre homme, une autre femme, un autre enfant, un autre peuple dans des définitions… la grâce de ne jamais enfermer qui que ce soit, dans une fonction, un faciès, un handicap ou un trait de caractère. Les définitions enferment. L’amour libère !

« Il est l’agneau et le pasteur. » Il me semble également que nous pouvons accueillir de tels paradoxes comme une invitation à ne pas trop vite évacuer une des figures bibliques qui nous gênerait. Ainsi, en ce jour où l’Église nous invite à contempler le Christ-Roi nous pourrions préférer ne retenir que le visage du crucifié – « Il y avait une inscription au-dessus de lui : ‘c’est le roi des juifs’ » – ne retenir que le visage du crucifié partageant le sort des humiliés de notre terre, et passer quelque peu sous silence celui qui nous est présenté comme celui qui siègera sur son trône de gloire. Or justement, je crois que la Parole de Dieu nous invite à accueillir ces expressions diverses pour mieux comprendre ce jugement de Dieu qui nous gène si souvent, avec tant de nos contemporains. Jugement de Dieu ? Ce n’est pas en évacuant ce visage de Dieu-juge que nous serons délivrés de cette peur qui s’attache à une telle représentation. Et si nous osions regarder en face celui qui nous est présenté aujourd’hui comme notre juge et qui ne cesse en même temps de nous dire : « N’ayez pas peur. » Et d’accueillir alors la polyphonie évangélique !

N’ayons pas peur de Dieu qui jamais ne nous enferme, qui ne cesse de nous proposer un chemin de libération. Ne craignons pas son jugement. L’enfer existe : il n’est pas une création de Dieu mais de l’Homme. Ne craignons pas la puissance de Dieu, c’est celle de l’amour, et c’est l’amour qui nous juge. Il n’y a pas plus puissant que l’amour. Il n’y a pas plus fragile que l’amour. Nous en savons tous, au moins un peu, quelque chose ! La force de l’amour, c’est de ne jamais pouvoir s’imposer. Un amour qui s’impose, ce n’est plus de l’amour. La force de l’amour, c’est de ne pouvoir et de ne vouloir que se proposer. La puissance fragile du jugement du Christ-Roi est là. La force de l’amour, c’est sa fragilité. Christ-Roi, Christ en croix. Le jugement est bien là, en pleine lumière sur la croix. Dieu n’a de cesse de nous proposer son amour pour que nous puissions en vivre, pour que nous puissions être libérés de tous ces égoïsmes qui nous attristent, de tous ces replis qui nous étriquent, de tous ces manques de solidarité qui nous déshumanisent… tous ces enfermements, tous ces enfers dont nous sommes responsables. C’est pour notre bonheur qu’il se présente alors tout particulièrement à nous dans le visage des petits. Avec le Secours catholique et tant d’autres, avec les enfants et tant d’autres, laissons Dieu se manifester à nous comme l’Agneau et le Pasteur.

Références bibliques :

Référence des chants :