Homélie de la messe de la Toussaint | Homélie du 31 octobre 2002

"Une foule immense que nul ne pouvait dénombrer" nous dit le livre de l’Apocalypse aujourd’hui, en nombre immensément plus grand que le nombre des saints que nous connaissons. Une multitude de frères et soeurs en humanité, parvenus au terme de leur pèlerinage et exultant de joie dans le bonheur éternel de voir Dieu face à face ; de voir le Fils de Dieu tel qu’il est, dans sa Gloire, et de se découvrir ainsi enfants de Dieu, comme nous le dit la première lettre de saint Jean entendue aujourd’hui. Cette foule, chers frères et soeurs, constitue une immense famille illuminée et habitée par la présence de la Sainte Trinité, une famille dont nous faisons déjà partie. En effet, en cette célébration, nous ne contemplons pas seulement le bonheur et la gloire des saints, bonheur et gloire qui actuellement nous dépassent infiniment. Nous expérimentons aussi, dans la foi, leur proximité aimante. Saint Bernard nous dit que les saints ont un ardent désir de notre compagnie. Ils nous accompagnent à travers joies et épreuves. Chaque saint est pour chacun de nous comme un surcroît de la tendresse de Dieu.

La célébration d’aujourd’hui, en cette église de la Sainte-Trinité à Paris, est aussi l’occasion d’un hommage au grand compositeur et organiste Olivier Messiaen, en cette année anniversaire de son retour à Dieu, il y a 10 ans. Olivier Messiaen a été durant plus de 60 ans titulaire du Grand orgue de cette église. 60 années comme humble serviteur de la liturgie à cette tribune qui était en même temps un véritable laboratoire, surtout à travers l’art de l’improvisation, pour l’élaboration de son langage musical si novateur. C’est ici, au coeur des Saints Mystères célébrés chaque dimanche auxquels il prenait part avec toute l’intensité de sa foi catholique… c’est ici que son génie créateur s’est constamment mis au service de la louange et de l’adoration de Dieu. À partir de ce sanctuaire visible qu’est l’église de la Sainte-Trinité, a été édifié au fil des ans un sanctuaire invisible et sonore à la gloire de Dieu : l’oeuvre d’Olivier Messiaen ; oeuvre immense, pas seulement pour orgue, mais aussi pour orchestre, pour piano, pour voix, pour grand choeur, etc… ; oeuvre qui embrasse pratiquement la totalité des mystères chrétiens célébrés chaque année par la Sainte Liturgie.

En rapport avec la solennité de ce jour, on peut dire que, prise dans sa totalité comme en certaines de ses parties, l’oeuvre du grand compositeur catholique que nous honorons aujourd’hui est, à sa manière, comme une ébauche sur cette terre de la "Jérusalem céleste". Le bonheur et la gloire des saints que nous célébrons aujourd’hui trouvent dans certains cycles ou certaines pièces d’Olivier Messiaen une expression privilégiée. Personne n’a su traduire en musique, comme lui, la splendeur, la joie, la paix de la Cité Sainte… l’amour du Coeur de Jésus. Il n’est pas possible, ici, de citer tous les titres d’oeuvres qui remontent en notre mémoire et en notre coeur. J’évoque simplement sa toute dernière oeuvre achevée, Éclairs sur l’Au-delà… pour orchestre, oeuvre largement inspirée de textes du livre de l’Apocalypse. La composition de Éclairs sur l’Au-delà…, un cycle de 11 pièces, a été terminée fin 1991, quelques mois avant la mort du compositeur, survenue en avril 1992. Messiaen ne l’a jamais entendue en concert. La toute première audition de Éclairs sur l’Au-delà… a eu lieu à New-York, il y a exactement 10 ans, le 5 novembre 1992. La dernière pièce de ce cycle a pour titre Le Christ, Lumière du Paradis. C’est en quelque sorte le testament musical et spirituel d’Olivier Messiaen ; dernière pièce achevée avant la grande rencontre avec le Christ glorieux, avant le face à face éternel dans la communion des saints. Pièce sublime, toute tendue vers la pureté du ciel, vers l’amour et la paix du Christ, joie de touts les saints. Cette pièce n’est pas seulement un chef-d’oeuvre… c’est une musique "sainte", car toute irradiée de la lumière de Dieu, un peu comme des tableaux de Fra Angelico. C’est un élément essentiel qu’on retrouve dans beaucoup d’oeuvres d’Olivier Messiaen : cette qualité de "sainteté". En effet, sa musique, géniale, certes souvent difficile car puissamment novatrice et éminemment personnelle, est en même temps toute transparente de Dieu, sans opacité subjectiviste ou narcissique. "Heureux les coeurs purs, dit l’Évangile d’aujourd’hui , ils verront Dieu".

Dans son opéra Saint François d’Assise, Olivier Messiaen a mis sur les lèvres de saint François mourant, cette prière en partie inspirée de saint Thomas d’Aquin :

"Seigneur, Seigneur,
Musique et Poésie m’ont conduit vers Toi…

Seigneur, Seigneur,
illumine-moi de ta Présence !
Délivre-moi, enivre-moi, éblouis-moi
pour toujours de ton excès de Vérité."

Ces paroles sont comme le ressort secret, le coeur de l’inspiration d’Olivier Messiaen. Alors que nous entrons toujours plus avant dans le troisième millénaire, puisse son oeuvre prophétique chanter de plus en plus profondément dans le coeur et dans la mémoire de l’Église… dans le coeur et l’esprit de tant d’hommes et de femmes assoiffés de cette "beauté qui sauvera le monde" selon les paroles de Dostoïevski, la beauté de la Vérité, de la Sainteté, de l’Amour dont nos frères, les saints du ciel, se rassasient pour l’éternité. Amen.
 

Références bibliques :

Référence des chants :