Cette parabole adressée par Jésus aux pharisiens nous parle de la dignité de chacun d’entre nous : « ils n’ont pas été trouvés dignes », dit le maître de maison à ses serviteurs. Je pense, en disant cela, à l’évêque qui m’a ordonné prêtre à Saint-Denis. Je préparai avec lui la célébration et je lui ai dit que je ne souhaitais pas que soit posée la question prévue par la liturgie : « est-il digne ? ». Car je ne me sais pas digne de représenter le Christ pour celles et ceux vers qui je suis envoyé. Il m’a répondu : « oui, Benoît, tu as raison, tu n’en es pas digne mais d’autres t’ont jugé digne de devenir prêtre ».
Dans l’histoire humaine, pourquoi tant de personnes se dérobent à cette extraordinaire invitation ? Le maître du temps et de l’histoire, le créateur de tous les univers, invite chacun de nous à ce festin de noces entre Dieu et son humanité. Il prend lui-même le tablier de service. Il confectionne un festin de viandes grasses et de vins capiteux. Il vient servir chacun de nous en nous donnant le meilleur de sa vie. Et je me déroberais à cette invitation ? Jusqu’à même supprimer les serviteurs porteurs d’une telle invitation ? Mais quel drame !
Le Seigneur me dit : « si tu ouvres ta porte, j’entrerai, je prendrai chez toi le repas et toi avec moi ; je serai ton Dieu et tu seras mon fils bien aimé ». Si tu ouvres ta porte ! Quoi de plus important dans mon existence. Et parce que tant ont refusé son invitation, le maître dit à ses serviteurs : allez sur les places, appelez les bons comme les mauvais, tous ceux qui accepteront d’ouvrir la porte de leur existence, de se laisser revêtir du vêtement de noces pour se laisser aimer et servir, et pour devenir les amis du Christ.
Comme aumônier à la Maison d’Arrêt de Fleury Mérogis, je rencontre de nombreuses personnes qui ont perdu leur dignité par le mal qu’ils ont pu commettre à d’autres, et ce mal est revenu sur eux par un effet boomerang, avec tout le poids de la culpabilité et de la honte. Ils ont été ainsi réduits à rien. La culpabilité met à nu.
Ayant la clé de leur cellule, j’entre par leur porte et m’assois à leurs côtés. Je sais que je ne suis pas plus digne qu’eux. Nous savons l’un et l’autre où notre propre histoire a blessé notre dignité. Ma dignité, ce n’est pas d’être quelqu’un de bien ou celle que je me donne, mais bien de devenir qui je suis, fils ou fille de notre Dieu.
C’est pourquoi, le maître de ma vie me fait cette invitation à devenir son ami, son intime, à me laisser revêtir par sa miséricorde, vrai vêtement de ma dignité, pour vivre et vivre bien sur le chemin de la sainteté, celui des amis du Christ.
Ce qui m’a le plus touché durant le confinement, c’est la beauté du ciel bleu et des arbres, ici, à La Clarté Dieu. Une fois la pollution dissipée, chaque élément de la nature se voyait restituer sa beauté originelle. Il en est de même pour chacun de nous : une fois dissipé ce qui pollue mes relations parfois si difficiles, je me vois restituer ma véritable dignité de fils. Même le mal que j’ai pu commettre ne peut détruire ma véritable beauté. Il suffit d’accepter ce que je suis : un fils de Dieu et de me laisser servir par le maître de mon existence. L’évêque qui m’a ordonné avait bien raison : d’autres t’ont jugé digne ! Ce n’est pas ton œuvre ; cela t’est donné et donné à vivre pour que d’autres, à leur tour, puissent se laisser aimer, servir et devenir les amis du maître de ce festin, les bons comme les méchants, pour devenir bon de la bonté même de Dieu.
Merci à mes frères détenus qui sont pour moi des maîtres dans ce chemin : certes, ils ne peuvent ouvrir la porte de leur cellule, mais ils m’aident à ouvrir la porte de mon cœur pour que je devienne bon.
Oui, le Seigneur essuiera les larmes sur nos visages. Il effacera l’humiliation quand nous aurons perdu notre dignité. Il fera disparaître tout ce qui est mortifère en nous. En lui nous espérions, et il nous a sauvés.