Parlez-moi d’amour…
"Frères, ne gardez aucune dette envers personne, sauf la dette de l’amour mutuel, car celui qui aime les autres a parfaitement accompli la Loi" (saint Paul). Mais aimer, c’est quoi ? J’aime mes parents, mes amis ; j’aime Bach et Schubert ; j’aime tel ou tel grand cru (que je ne nommerai pas) ; j’aime Fra Angelico et Matisse ; et je crois que j’aime Dieu … Alors ?
Jacques Prévert nous a laissé un petit poème que j’adore : "Tu dis que tu aimes les oiseaux et tu les mets en cage ; tu dis que tu aimes les poissons et tu les manges ; tu dis que tu aimes les fleurs et tu les coupes ; alors quand tu dis que tu m’aimes, j’ai peur". Et "je t’aime tellement que j’ai envie de te manger !". Plus réfléchi on dira : "Non; aimer c’est le don de soi ; c’est se donner à quelqu’un d’autre". Je ne crois pas. Se donner à quelqu’un, c’est lui faire un mauvais cadeau, très encombrant. Aimer, c’est donner l’autre à lui-même ; aider un autre à devenir lui-même, à s’accomplir, à devenir libre. "Deviens ce que tu es", je vais t’aider, et "aide-moi à devenir moi-même".
Jésus n’a rien dit d’autre. Vous souhaitez être heureux ? Soyez miséricordieux, soyez bienveillants. Attention ! Il ne s’agit pas d’une attitude condescendante, molle et mielleuse, mais d’un vouloir profond de s’aider mutuellement à vivre. Le respect est important ; mais il faut passer du respect à la bienveillance (vouloir le bien, le bonheur de l’autre).
Saint Paul écrit : "Supportez-vous les uns les autres" ; je n’aime pas beaucoup la traduction : "Celui-là, il faut vraiment le supporter" ; je préfère dire : "Soyez les supporters les uns des autres", aimez-vous les uns les autres, et ne vous oubliez pas au passage. Mais dira-t-on : comment peut-on "commander d’aimer" ? Simplement parce que aimer c’est vivre, tout comme "respirer". Si je dis "respirez bien", je ne porte pas atteinte à votre liberté. Si vous ne respirez pas, vous mourez. Si vous n’aimez pas, vous êtes mort.
Si je vous dis : "Là où il y a de l’amour, il y a Dieu", peut-être certains peuvent être choqués. Et pourtant nous chantions si bien cela en latin : "Ubi caritas et amor, Deus ibi est". "Quiconque aime est né de Dieu et connaît Dieu" (saint Jean), y compris, souvent, "les enfants qui s’aiment contre les portes de la nuit" et "les amoureux des bancs publics". « Nous, les amoureux, on dort sur les genoux du Bon Dieu », chantait jadis Jean-Claude Pascal ! ce n’est pas vrai à tous les coups.
Aimez, dit Jésus, car Dieu n’est rien d’autre : une infinie volonté de vie et de bonheur ; une tendresse transcendante qui nous invite à un compagnonnage. Bien entendu, le psychologue met en garde : "Nous portons une quête d’identification avec une instance protectrice et aimante" (Julia Kristeva). Et si c’était notre destin ! La mariée n’est pas trop belle : elle est très belle.
Alors, tout devrait être merveilleux : Dieu est amour ; aimons-nous ; le vie est belle. Pas tellement ; ça ne marche pas si bien. "Qu’il est difficile d’aimer", chante le canadien. Alors pourquoi tant d’amours déchirées, pourquoi la violence, les fleuves noirs de la haine, de la guerre; pourquoi la mort des enfants ? Pourquoi ce monde de Caïns tueurs et d’Abels assassinés ? Pas besoin de lire les journaux ; que chacun de nous ouvre les pages de son coeur : des pages de jalousie, de méchanceté, d’hypocrisie, de non-pardons, de tricherie, de mensonges.
Un champ de ruines ? Non ! Un formidable chantier. Il y a de quoi faire. Mais faire quoi ? Nous croyons qu’en Jésus de Nazareth Dieu s’est réconcilié le monde et nous a confié le ministère de la réconciliation, c’est-à-dire faire advenir un monde autre : un monde de justice et de fraternité. Il faudra y mettre le prix, comme Jésus qui a été assassiné pour cela.
Johannesbourg, c’est très important, mais avant de vouloir changer le monde, il convient d’agir à notre échelle : famille, communauté, cité. Six siècles avant Jésus Christ, Confucius disait : "Plutôt que de passer ton temps à maudire les ténèbres, allume donc une bougie dans la nuit". Il faut choisir entre "tricoteurs" et "démailleurs" : ou bien on essaie, maille après maille et vaille que vaille, de tricoter un beau vêtement, ou bien on passe son temps à détricoter, à démailler; c’est un choix de vie : ou on fait des noeuds, ou on dénoue.
Et voici le meilleur pour la fin. En choisissant la bienveillance, nous vivons la présence même du Seigneur parmi nous. "Ce que vous faites au plus petit, c’est à moi que vous le faites" … "Dieu, personne ne l’a jamais vu ; mais si nous nous aimons les uns les autres, Dieu habite en nous". Ecoutez ceci : "Si tu viens à l’autel apporter ton offrande, et que là tu te souviens que ton frère – ou ta soeur – a quelque chose contre toi, laisse là ton offrande et va d’abord te réconcilier ; après tu reviendras à l’autel". Si c’était un précepte, nous sortirions tous ; vous n’auriez qu’à me suivre, et on ne dirait jamais la messe ; mais cette phrase de Jésus nous rappelle ceci : la miséricorde et la bienveillance valent mieux que tous les sacrifices et toutes les liturgies.
Références bibliques :
Référence des chants :