Homélie de la messe du 25 octobre 2020 à Paris

Homélie de la messe du 25 octobre 2020 à Paris

Tout dépend de ça. Et de ça seul. La Loi et les Prophètes sont résumés ainsi, par ce commandement. Un mot, un seul : aime !

On sait bien qu’être disciple de Jésus consiste à aimer. Qui l’ignore ? Ne l’a-t-on pas suffisamment entendu ? N’est-ce pas un peu trop de le réentendre encore une fois ? Est-ce que cela ne finit pas par être un peu trop mièvre cet amour que l’on doit donner sans condition ? Un peu trop sucré ? Un peu agaçant même. Et, surtout, bien naïf… Le monde n’est-il pas si dur ? Quant à l’homme, comment dire… Rapide à faire mal. Vite violent. Égoïste. Rancunier. Meurtrier même. Est-il seulement aimable ?

En écoutant la radio certains matins, au réveil, je me dis que non, souhaitant me rendormir au plus vite. Vraiment, il n’est pas aimable cet homme-là. Il faudrait être Dieu pour l’aimer. Et je ne le suis pas. J’ai mes limites. Ça oui.

Un jour je me suis même demandé si j’étais aimable moi-même. Oui, un jour. Vous savez ces jours où l’on se sent un peu décalé, étranger. Exilé. Peut-être cela vous est-il arrivé ? Un jour de fatigue. Un jour de souffrance. Un jour de solitude. Peut-être est-ce aujourd’hui pour vous devant votre télévision. Un jour de solitude chez vous, ou à l’hôpital, ou en prison. Un jour qui passe sans grande saveur.

Ce sont ces jours-là qui nous permettent peut-être de comprendre, par quelques éclairs, ce que le livre de l’Exode voulait dire quand il parlait de ces frères fragiles à qui il ne faut pas nuire. Ces jours où je comprends qu’il y a de l’étrange en moi, pour ne pas dire de l’étranger. Une pauvreté. Quelque chose d’inachevé. C’est quand on traverse le désert que l’on comprend l’importance des oasis. Quand le chemin est dur que la maison hospitalière est bienvenue. Quand on peine, que l’amour se réclame avec passion.

Alors ces textes d’aujourd’hui, comme des cadeaux, sont pour nous. Dieu en nous appelant à aimer nous dit, comme si c’était la première fois, sa tendresse.

Dans son encyclique toute récente, le pape François nous invite à être frères de tous. Des frères universels. Il en parle avec chaleur de cette fraternité, pointant son absence, trop souvent. La sécheresse d’un monde qui se croit ouvert, mais ne cesse de se fermer. Fratelli tutti. Frères des petits d’abord ; frères des pauvres d’abord. N’est-ce pas un peu naïf ?

C’est en regardant Jésus que tout prend, je crois, son sens. C’est en regardant Jésus que l’on comprend qu’il n’y a pas de naïveté dans le commandement d’aimer. Car celui qui nous invite à aimer, Jésus, sait, lui, ce qu’aimer veut dire. Il sait, lui, le poids du monde. Il en a croisé sur sa route des immigrés, des veuves et des orphelins, des malades et des pauvres. Ces petits que l’on appelle les hommes.

Il a croisé notre route à chacun. Le monde qui est le nôtre fut aussi le sien. Et il a croisé la haine au bout du chemin. La méchanceté des hommes, leur violence, il y a goûté. Leur lâcheté, il sait. La croix il l’a porté.

Alors il peut nous dire ce qu’est aimer. Ni un élan d’aveuglement face au monde, car l’amour ne rend pas forcément aveugle. Ni un refus de voir la réalité du monde en face. Non. Pas naïf pour deux sous, le Seigneur accueille. Il relève. Il pardonne. Lucide. Vrai. Il aime.

Aime comme je t’aime pourrait dire Dieu. Car je t’aime malgré ce que tu crois être. Je t’aime comme tu es. Je te couvre, toi et ton frère, de mon manteau et je veille sur toi comme sur un pauvre, un étranger. Et je reconnais en toi celui que j’aime de toute éternité.

 

Références bibliques : Ex 22, 20-26 ; Ps 17 ; 1 Th 1, 5c-10 ; Mt 22, 34-40