Homélie de la messe du 3e dimanche de Carême | Homélie du 2 mars 2002

Quelle surprise, quel scandale même pour les amis de Jésus qui reviennent de la ville où ils sont allés chercher des provisions ! Oui, les apôtres sont très étonnés de voir Jésus assis sur la margelle du puits en conversation avec une femme de Samarie.

Aujourd’hui, la scène de la rencontre de Jésus et de la Samaritaine est dans toutes les mémoires. Ce récit est très connu… trop connu… puisqu’il ne nous étonne plus.

Ce dimanche, au milieu du carême, prenons le temps de le relire ensemble pour continuer de nous en étonner. Pour en apprécier la portée, il faut, me semble-t-il, faire de ce texte une triple lecture :

. Il faut en faire une lecture historique. C’est ce détour par le passé qui nous conduira le mieux au coeur du présent.
. Il faut en faire une lecture symbolique. C’est ce détour par le symbole qui nous conduira au coeur du mystère.
. Il faut en faire une lecture pratique. C’est ce détour par la vie actuelle qui nous conduira le mieux au coeur du réel.

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Une lecture historique :
Oui, sinon, l’essentiel nous échappe. Comment mesurer en effet à quel point la rencontre de Jésus et de la Samaritaine était scandaleuse, si l’on ne se souvient pas de l’histoire terriblement orageuse entre Juifs et Samaritains ?

Les Juifs détestaient les Samaritains pour un certain nombre de raisons. Ils leur vouaient une haine séculaire. Les Samaritains étaient pour eux un peuple de bâtards. Les purs Juifs les méprisaient. Ils étaient aussi un peuple hérétique puisqu’ils ne fréquentaient pas le temple de Jérusalem. Ils allaient prier sur le mont Garizim, si bien que des Juifs pieux croyaient rendre gloire à Dieu en détestant les Samaritains. Et c’était une injure que de jeter à quelqu’un le nom de "Samaritain" et encore plus de "Samaritaine" ! La religion juive, en effet, fascinée comme beaucoup d’autres religions par la sexualité et le sang, considérait les femmes comme impures dès le berceau, c’est-à-dire toujours. Leur mari était souillé et souillées aussi toute nourriture, toute boisson qu’une femme de Samarie avait préparées ou touchées.

Voilà où Jésus met les pieds. C’est dans ce pays ennemi et hérétique qu’il allait demeurer deux jours, et c’est cette femme "impure" que Jésus va aborder, cette femme trois fois impure :

Impure parce qu’elle est de Samarie.
Impure parce qu’elle est femme.
Impure parce qu’elle est une femme légère.
Les maris vrais ou faux se succèdent à la maison. En face de cette femme trois fois impure, Jésus accepte d’être trois fois contestataire, en quelque sorte. Sans crainte et avec cette aisance toute simple et cette liberté qui n’appartient qu’à lui, Jésus accepte de pulvériser cette triple barrière.

A travers cette rencontre, son message est éclatant :
Pour Dieu, il n’y a pas d’exclus, il n’y a pas d’ennemis, il n’y a pas de maudits, il n’y a pas d’impardonnables, il n’y a pas d’irrécupérables !

D’où que tu viennes, Jésus est venu pour toi. Aucun obstacle ne peut venir de ta race, de ta culture, de ton origine religieuse. Dieu se propose à toi, d’où que tu viennes, pourvu que tu le cherches. Toutes les femmes, tous les hommes ont droit à l’eau vive de sa Parole et de son Amour.

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C’était la lecture historique. Voici la lecture symbolique. C’est ce détour par le symbole qui nous conduira le mieux au coeur du mystère.

Pour les nomades, un puits, c’est bien plus qu’un puits. Pour les hommes du désert, un point d’eau, c’est bien plus qu’un point d’eau, c’est un lieu de rencontre où l’on bavarde, où l’on échange. Le puits, c’est l’endroit où l’étranger devient l’ami. Et dans la Bible, le puits est souvent le lieu où les mariages se nouent. Eh bien ! le puits au bord duquel Jésus rencontre la Samaritaine n’échappe pas à cette traduction symbolique.

Comme toujours, lorsque saint Jean écrit, rien n’est simplement une anecdote ou un récit. Vous allez le voir, tous les détails de ce tableau si expressif sont des symboles.

L’eau, rare en ces lieux arides, c’est maintenant la Parole de cet homme mystérieux.
Une parole merveilleuse qui rejoint la profondeur du puits, la vérité d’une vie. "Il m’a dit tout ce que j’ai fait, venez l’écouter".
Une parole précieuse, plus vitale qu’une source au milieu du désert.
Une parole définitive, la Samaritaine peut laisser là sa cruche avec laquelle elle puisait l’eau du puits. Elle n’a plus soif de cette eau-là, elle n’a plus soif de ces amours-là. Les mots de Dieu ont comblé sa soif.

Enfin, le puits, lieu où se nouent les mariages est devenu ce lieu où se déclare le mariage spirituel, la nouvelle alliance entre le Christ et l’humanité, l’humanité fût-elle pécheresse et païenne. Jésus fait entrevoir l’adoration du Père en esprit et en vérité, bien au-delà des querelles de peuples et de religions. Ce ne sera, dit Jésus, ni à Jérusalem, ni sur le mont Garizim, ce sera chaque fois où avec un coeur droit des hommes se tourneront vers Dieu.

Vous voyez que ce que saint Jean insinue finement déborde infiniment l’épisode raconté !

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Enfin, une lecture pratique. C’est ce détour par la vie actuelle qui nous conduira le mieux au coeur du réel. L’évangile de la Samaritaine que nous méditons éclaire évidemment notre vie d’aujourd’hui.

Aujourd’hui comme hier, Jésus fait jaillir l’eau vive de sa Parole en pleine Samarie des païens, des hérétiques, des impurs.

Ces Samaritains, ces Samaritaines que l’Evangile nous demande d’accueillir, qui sont-ils ? Qui sont-elles ? Cherchons bien.

C’est peut-être cette belle-soeur divorcée que la famille rejette, c’est peut-être ce collègue de travail dont on n’ose pas soutenir le regard ? Le croyant d’une autre religion ? Ou cet homme suspecté à cause de ses idées, de sa race, de son ethnie, ou tout simplement de son "look" ? A qui pensez-vous encore ? Pas difficile de trouver le Samaritain qu’on n’aime pas !

Et puis, la Samarie, elle est parfois en nous… en chacun de nous. Je veux dire, il y a des chrétiens qui désespèrent d’eux-mêmes : "Ma vie est inconsistante, ma vie est trop en désordre, Dieu ne peut pas m’aimer".

Je vous en supplie, n’oubliez pas la Bonne Nouvelle de l’évangile de la Samaritaine. Jésus propose l’eau vive de sa Parole à tous les hommes, à toutes les femmes, à commencer par les Samaritains et les Samaritaines !

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Voilà ! Les portes de l’église vont s’ouvrir, tout à l’heure, sur la ville, sur nos maisons, sur notre Samarie à nous… Eh bien, bonne semaine en Samarie. Vous le savez, Jésus y est déjà. Il y est arrivé avant nous. Ne passez pas près du puits sans vous y arrêter !

Références bibliques :

Référence des chants :