Homélie de la messe du 5 janvier 2020 à l'Haÿ-les-Roses

Il y a quelques années, quand j’étais au couvent de Lille, je m’occupais ce dimanche de l’épiphanie de la liturgie des enfants, de l’éveil à la foi.  En cette fête de l’épiphanie, cette année-là, tout commençait très bien. Les enfants avaient bien repéré l’Étoile. Ils avaient bien vu que l’on pouvait se perdre en chemin, chercher sa route, et donc pour s’en sortir faire confiance à l’étoile, à ce qui éclaire la nuit. Ils avaient bien dit qu’à la crèche il y avait un grand bazar avec pleins de gens différents, les riches mages et les pauvres bergers, ceux qui savaient beaucoup de choses avec la tête et ceux qui savaient beaucoup choses avec le cœur. Ils avaient dit aussi qu’il devait faire bien froid mais qu’avec un bébé il y a toujours de la joie qui réchauffe. Et puis est arrivée la question de l’or de l’encens de la myrrhe apportés par les mages et par glissement ceux que nous-mêmes nous pouvions apporter à Jésus. C’est là que les choses se sont compliquées. Les réponses classiques et attendues étaient bien là, rapidement. On pouvait offrir à jésus son sourire, son cœur, sa prière. Et puis, tout d’un coup comme un éclair dans le ciel, un des enfants a crié « bah on pourrait lui offrir les cadeaux qu’on a reçu! ». Il y eut un silence un peu gêné. Les plus âgés sentaient qu’il fallait dire « oui » mais que c’était faire un très gros sacrifice. Alors le plus jeune a dit « euh … en tout cas, pas mon vélo, car c’est mon cadeau de noël que je préfère! » Tous les enfants se regardaient alors presque effrayés ! On ne savait plus ce qu’il fallait penser.

Vous aurez compris, chers frères et sœurs, que les enfants, qui sont sans filtre, posent, souvent, les bonnes questions. Que voulez-vous offrir à Jésus ? S’il vous fallait donner le meilleur de vous-même, que vous resterait-il ? Ne serait-ce trop « gros » comme sacrifice ? On résiste « naturellement » à lui offrir notre santé, notre famille, nos amis, et tout ce qui vient réchauffer et éclairer nos vies parfois froides. Si on lui offre ce qui nous tient a cœur, comment allons-nous nous en tirer ? C’est sans doute une très vieille trace du péché que de croire que vouloir offrir le meilleur de soi à Dieu, l’auteur de la vie, et de ma vie aujourd’hui, ce serait se perdre, se « sacrifier » dans le sens se liquider, disparaître, s’anéantir.

C’est là en fait une erreur de perspective spirituelle. Quand on offre à Dieu le meilleur, il ne le dissout pas, mais il le perfectionne encore, il l’ajuste à son dessein. Il le rend encore meilleur, plus haut, plus généreux. Comme l’or purifié, Dieu ôte au meilleur que l’on offre ce qui reste encore d’égoïsme et de repli du péché. Donc osons, en ce début d’année, offrir à Dieu le meilleur … mais aussi à l’autre bout de la chaîne ce qu’il y a de moins beau, de moche, en nous. Là aussi, on a beaucoup de résistance.

Alors, repartons dans mon précédent couvent de Lille, Où l’on vit une année apparaître au milieu des moutons et des agneaux de la crèche, un canard. Le prieur, le frère Denis, lors d’un café communautaire voulut en connaître l’origine. Le vieux frère Maurice, au regard bleu et au sourire d’enfant reconnut en être l’auteur. Un canard à la crèche, Parce que dit-il, « les fausses notes ont aussi le droit d’y être ». Et c’est ainsi que chaque année la crèche de Lille à son canard. Non seulement parce que le canard est la fausse note mais aussi parce que l’on sait que des vilains petits canards deviennent aussi des cygnes, des signes par grâce.

Chers paroissiens de L’Haÿ-les-Roses, je suis donc venu ce matin avec un cadeau. Mon vélo aurait pris beaucoup de place à la crèche … alors je vous offre … ce canard ! Amen

 

Références bibliques : Is 60, 1-6 ; Ps 71 ; Ep 3, 2-3a. 5-6 ; Mt 2, 1-12