Je n’ai pas été élève à Fénelon. Je suis désolé.
J’ai été élève dans un autre collège. Et j’en garde un excellent souvenir. J’avais un très bon aumônier. Je peux le nommer : c’était le père Carava. Le père Carava était formidable ; il conduisait sa Citroën Visa (cela, frères et sœurs qui vivez cette messe par la télévision, c’est pour vous, car je pense qu’aucun des jeunes gens qui sont devant moi n’a idée de ce qu’était une Citroën Visa) — il conduisait sa voiture comme un pilote de course, il organisait pour nous des pèlerinages à Rome, il jouait au football dans la cour ; quelquefois il nous faisait les gros yeux, mais par-dessus tout il nous aimait bien.
Et parce qu’il nous aimait bien, il voulait nous donner ce qu’il avait de plus précieux, ce que saint Paul appelle « la foi dans toute sa beauté ». Il ne mâchait pas ses mots ; quand il parlait de Jésus, de Marie, de la foi, nous sentions que c’était important pour lui. Que c’était plus important que lui, qu’il y tenait plus qu’à lui-même. En nous enseignant le Christ, il nous donnait la force, l’intelligence et l’amour, et nous comprenions que c’étaient là des cadeaux extraordinaires.
En entendant saint Paul, son exigence, sa façon de presser et de brusquer le jeune Timothée pour qu’il se réveille — saint Paul dit : « Je te le rappelle, ravive le don de Dieu, ce don qui est en toi » —, j’ai l’impression d’entendre le père Carava et de revoir ses yeux et ses gros sourcils froncés derrière ses lunettes carrées. Ce n’était pas de la colère, c’était de l’amitié. Il nous avait donné le cadeau le plus précieux, et il voulait que nous le gardions toute notre vie, pour être heureux, pour être forts, pour être beaux aux yeux de Dieu et des hommes.
À chaque fois que je prêche devant des jeunes (et devant des adultes aussi, à la vérité), j’ai envie de répéter cette simple phrase : « Gardez votre foi dans toute sa beauté. » Vous ne comprenez peut-être pas tout de la foi, mais moi non plus, et ce n’est pas grave, car de toute façon le don de Dieu est plus grand que nous. Vous avez peut-être du mal à croire, et sans doute plus encore à dire aux autres que vous êtes croyants, mais ce n’est pas grave, car de toute façon l’Esprit de Dieu, que vous le sentiez ou non, travaille déjà en vous. Alors gardez la foi. Gardez-la intacte, gardez-la comme votre trésor.
Mais ce n’est pas tout le dire. Je voudrais aussi que vous le compreniez dans votre cœur. Une fois — une seule —, le père Carava nous a raconté son enfance, dans un quartier populaire d’une ville d’Algérie ou du Maroc — je crois que c’était Casablanca. Comment il jouait au foot avec les prêtres du patro, comment il a reçu d’eux la beauté de la foi, comment peu à peu il a compris que ce qu’il pouvait faire de mieux dans sa vie, c’était de transmettre cette beauté. Ce jour-là, j’ai compris. Mon aumônier ne voulait pas que nous fussions des chrétiens parce qu’il le faut, par devoir ni par obligation ; il ne le voulait pas pour lui ; il le voulait pour nous, parce qu’il était notre ami et qu’il nous aimait. Et donc je vous le dis à mon tour : gardez votre foi, gardez-la dans votre cœur, gardez-la comme ce que vous avez de plus précieux, gardez-la pour un jour l’offrir à ceux que vous aimerez. Et ce jour-là, vous serez heureux.
Références bibliques : Ha 1, 2-3 ; 2,2 ; Ps 94 ; 2Tm 1, 6-8. 13-14 ; Lc 17, 5-10