Il y a un personnage dans l’évangile de Jean qui est vraiment notre frère. C’est notre ‘vrai jumeau’ à tous, au sens où il arrive un peu en retard… Non pas qu’il y ait des problèmes de ponctualité chez chacun de nous, mais parce qu’il est —comme nous tous— en retard sur l’événement qui surpasse tous les événements.
Il arrive, nous l’avons entendu, après l’annonce de la Résurrection…
Dans l’évangile de Jean, le Ressuscité se montre et envoie l’Esprit en un même moment ! Et cependant… il y en a un qui manque à l’appel : Thomas et avec lui toutes les générations suivantes de chrétiens. Il est donc notre jumeau, l’image de ceux qui cherchent des preuves, des raisons de croire…
Comme Thomas, nous voudrions voir, savoir, comprendre… toucher même. C’est d’ailleurs une des envies les plus humaines qui soit, en particulier en ce temps où, pour beaucoup, la distance est difficile à tenir, et la proximité à vivre : n’avons-nous pas parfois le sentiment d’exister quand nous touchons, quand nous prenons un être aimé dans nos bras. N’avons-nous pas ce sentiment de croire—en nous ou en l’autre— et d’être assuré quand une place est donnée au contact physique ? Ce temps de confinement et de distance sociale nous confronte à un tel besoin de proximité, réelle, concrète, attentive et non virtuelle…
Et pourtant… La parole du Christ nous rappelle une dimension constitutive de notre être : nous sommes certes des êtres de relations —ayant le désir profond de voir, de toucher— mais nous sommes aussi des êtres capables de grandir à travers leurs manques, qui peuvent avancer à travers l’expérience de séparations fécondes. C’est cela l’annonce de Pâques : le tombeau vide devient le lieu d’une annonce… L’humain est ainsi fait qu’il peut —en faisant des deuils féconds— découvrir une réelle proximité, malgré la distance, une présence intime, malgré les apparences. Si nous avons parfois, comme Thomas, l’envie de preuves et de ranger la foi dans le champ du savoir, le Christ Ressuscité nous laisse avec cette béatitude ultime. « Heureux ceux qui croient sans avoir vu ». Comme si l’écart, le doute, l’absence, la distance étaient constitutifs de notre être, étaient indispensable à notre croissance. Comme si le manque que nous traversons tous en ce temps —à des degrés divers— pouvait être paradoxalement le lieu d’une promesse, la naissance de quelque chose de neuf… Nous le savons, il n’y a pas de preuve décisive lorsqu’on aime. Il n’y a pas, non plus, de preuve, de raison lorsqu’on croit. La foi comme l’incroyance ne se prouvent pas, ne s’imposent pas. Ce n’est pas parce qu’on voit qu’on croit. Mais lorsqu’on croit, tout est vu autrement. Tout devient affaire de confiance, de cette « vivante espérance » dont nous parle la lecture des Actes des Apôtres. Une telle confiance consiste à s’en remettre à quelqu’un, non à une preuve. Thomas —en cherchant du côté de la raison— se dispense en fait d’entrer dans ce domaine de la confiance… Mais à l’invitation de Jésus, il découvre qu’il doit changer. « Cesse d’être incrédule. Sois croyant. » Voilà le chemin de tout vrai croyant. Quitter ses sécurités, sa recherche de signes, quitter ses croyances pour entrer dans la confiance.
Dans la vie, nous en faisons souvent l’expérience, il y a ceux qui croient savoir, qui pensent détenir des preuves et restent dans leurs croyances. Elles sont pour eux autant de lieu de certitudes…
Mais il y a aussi ceux qui savent croire… qui ne cherchent pas de preuves. Ils ont fait réellement l’expérience d’un tombeau vide, d’une absence féconde. Ils découvrent alors la vraie confiance, la vivante espérance. Celui qui fait ainsi confiance, en accueillant ses manques et ses doutes découvre finalement que la vie est don, qu’il est bon de la partager. Celui qui fait confiance trouve en lui un chemin intérieur de paix, malgré les incertitudes de la vie.
Cette confiance des croyants n’est en rien de la naïveté, de la crédulité dont on pourrait facilement se moquer. Une telle confiance permet de regarder les épreuves avec courage et lucidité, avec une joie profonde, malgré les difficultés que nous endurons. C’est ce que nous rappelle la seconde lecture. « Exultez de joie, même s’il faut que vous soyez affligés par toutes sortes d’épreuves ; elles vérifieront la valeur de votre foi » Seule une telle confiance permet dès lors de vérifier notre foi, de partager cette énergie, ce souffle de vie et de paix qui sommeille au fond de chacun de nous. Seule la confiance permet d’attester par des signes concrets la présence du Ressuscité.
C’est dès lors à nous d’avoir, comme Lui, des paroles qui créent de la paix. C’est à nous de mettre dans notre vie, même à distance, du souffle pour revigorer, revitaliser celles et ceux qui n’en peuvent plus. Ce sont désormais, pour tous les Thomas du monde, les seuls signes du Ressuscité : de paroles pacifiantes, ancrées dans le réel, et qui prennent soin, des gestes qui apaisent, de mots qui ont du souffle, de la profondeur, de l’Esprit, et qui mettent une réelle proximité malgré la distance physique. Alors, sur quoi repose notre foi ? Sur quoi repose-t-elle réellement ? Est-ce sur le témoignage de disciples ? L’évangile n’est pas crédible parce qu’il nous fournirait des preuves. L’évangile est digne de foi justement parce qu’il n’en donne pas, mais qu’il peut s’attester dans notre vie. Voilà la mission qui nous est confiée. Alors… « Heureux ceux qui font confiance, sans preuve ». Amen
Références bibliques : Ac 2, 42-47 ; Ps 117 (118), 2-4, 13-15b, 22-24 ; 1 P 1, 3-9 ; Jn 20, 19-31