Homélie de la messe du dimanche de Pâques 2020 à Paris

Nous sommes, en ce moment, tous un peu sonnés, un peu décontenancés, et certains sont meurtris et douloureux, d’autres épuisés. Ce matin, frères et sœurs, Dieu lui-même vient nous consoler, il vient à nous avec tendresse. En célébrant la Résurrection, en fêtant le Ressuscité, nous ne marquons pas un anniversaire qui s’éloigne dans le temps ; nous nous livrons à l’action puissante et douce de Dieu, celle qui s’est manifestée en Jésus pour s’exercer désormais pour chacun de nous et en chacun de nous.

D’abord, goûtons, si vous le voulez bien, la délicatesse que relève le récit de saint Jean. Par la résurrection, celui qui paraissait vaincu, éliminé, dont on s’était débarrassé, celui qui était enfermé dans le tombeau – le confinement le plus total et irrémédiable – a été tiré vers la vie en plénitude. Mais voyez comme chacun y accède à son rythme : Pierre constate et rien ne se produit ; le disciple que Jésus aimait a pu regarder de l’extérieur puis, une deuxième fois, entré dans le tombeau, mieux voir et, d’un coup, voir pour de vrai : « Il vit et il crut ». Le cadavre n’est plus là, mais tout est en ordre et Pierre est là et lui aussi. D’un coup, la cohérence de l’histoire lui saute aux yeux : la résurrection n’est pas une violence, un coup de force, un vol, elle n’est pas un fait aberrant, le privilège d’un seul. La Résurrection de Celui-là, de Jésus qu’ils ont suivi et aimé, accomplit l’Écriture : elle ouvre pour tous les hommes le passage de la vie à la vie, de la vie qui conduit à la mort à la vie toujours plus vivante et vivifiante. En Pierre et l’autre disciple, nous le voyons : du temps nous est donné. Tel est éclairé en un instant ; tel autre aura besoin de signes nombreux. La pierre enlevée du tombeau est une porte ouverte qui ne se refermera pas. D’année en année, frères et sœurs, selon les événements de notre vie, les choix que nous faisons ou auxquels nous nous dérobons, laissons-nous conduire dans la vérité de la Résurrection, selon notre rythme et la manière que Dieu veut pour nous.

Ensuite, entendons saint Pierre. Quelques mois plus tard, il proclame à Césarée : « Là où il passait il faisait le bien ». Lui, Pierre, en a été témoin. Il est témoin aussi que Jésus est allé jusqu’à la mort pour nous faire le plus grand bien, celui de nous choisir devant le Père comme ses frères et ses sœurs, alors même que nous lui résistons ou que nous le rejetons ou que nous l’esquivons, et Pierre est témoin encore que le Père fait du bien à son Fils, avec toute sa tendresse, en le tirant de la mort et nous appelant à lui par-delà la mort et notre péché. 

Enfin, saint Paul nous l’affirme : « Notre vie reste cachée avec le Christ en Dieu », jusqu’à ce qu’il paraisse dans la gloire. Notre vie reste cachée ; elle ne nous est pas dérobée. Au contraire. Lui, le Ressuscité, entré dans la gloire du Père, recueille tout ce qu’il y a à retenir de notre vie à chacun, pour que tout nous soit rendu dans sa plénitude, le moment venu. Beaucoup, en ce moment, souffrent de ne pouvoir accompagner les mourants et les défunts. Cette souffrance est redoutable mais elle est noble. Elle traduit une grandeur de notre condition humaine. Recevons ce matin cette promesse : ce que nous n’aurons pu mener à son terme sur cette terre, est recueilli par le Christ vivant, et porté par lui et en lui à son accomplissement pour devenir notre plénitude le moment venu.

Frères et sœurs, le jour de Pâques, nous sommes d’habitude les uns pour les autres des témoins du Ressuscité. Les catéchumènes, lorsqu’ils sont plongés dans la mort et la résurrection de Jésus, rajeunissent notre joie de vivre dans le Christ. Elle nous manque, ce matin, l’allégresse du rassemblement pascal ; l’eau baptismale n’a pas touché votre front, et vous n’avez pas reçu sacramentellement le corps vivifiant du Christ. Pourtant, nous sommes ce matin, réunis par les ondes, les « témoins choisis d’avance » dont parle saint Pierre. Nous sortirons du confinement et l’épidémie finira par disparaître. Dès aujourd’hui, soyons des témoins du Ressuscité. Soyons-le chacun pour lui-même, soyons-le pour ceux et celles avec qui nous sommes confinés, préparons-nous à l’être pour celles et ceux que nous retrouverons bientôt. « Il a passé en faisant le bien » ; il a fait ce bien jusqu’à l’extrême, il s’est remis à son Père, et il a reçu la puissance d’ouvrir pour tous les portes de la vie où tous seront vivants. Osons nous regarder les uns les autres comme des frères et des sœurs appelés à la vie pour toujours et soyons les uns à l’égard des autres pleins de délicatesse, de patience, d’espérance, à l’exemple de Dieu lui-même. N’ayons pas peur de perdre lorsque nous donnons, ne comptons pas ce qui nous est donné en retour. Mais aussi sachons puiser notre force en Jésus et être patients avec nous-mêmes. Car, vraiment, « quand paraîtra le Christ, votre vie, vous paraîtrez vous aussi dans la gloire »,

Amen

Références bibliques : Ac 10, 34a.37-43 ; Ps 117 (118), 1.2, 16-17, 22-23 ; Col 3, 1-4 ; Jn 20, 1-9