Quelques jours avant Pâques, j’ai été l’heureux destinataire d’une carte très sympathique : elle accompagnait une jolie croix dessinée sur une planche avec quelques clous reliés entre eux par une ficelle. Cette croix est l’œuvre de Simon. Il a 10 ans et il aurait dû être baptisé dimanche dernier. En bas de la carte, il a écrit : « Gros bisous contagieux ». Merci Simon.
J’ai cru au début que Simon parlait du covid-19. Et puis en regardant la Croix, je me suis dit qu’il a bien raison Simon : il n’y a pas que les virus qui sont contagieux, l’amour et la vie le sont tout autant. Alors des bisous, parce qu’ils nous relient les uns aux autres, ils sont forcément contagieux eux aussi : ils propagent l’amour et la vie. Et c’est bien de ça dont il question ce matin dans l’Evangile qu’on vient d’entendre.
Le pain que je donnerai, c’est ma chair donnée pour la vie du monde Jn 6, 51 dit le Christ. Pour la vie du monde. Pas seulement la nôtre, mais celle du monde entier : les humains, les mésanges et les pangolins, les roses et les sapins… Il est question d’un pain donné pour la vie de toute la Création. C’est dire la responsabilité de ceux qui communient à ce pain-là : communier est un don que l’on reçoit et qui nous engage. C’est même en cela notre manière d’être citoyen, à nous les chrétiens.
Communier à ce pain-là engage en effet notre responsabilité envers les hommes et les femmes. Saint Paul le martèle dans toutes ses lettres : soyez plein de tendresse les uns pour les autres Rom 12, 10. Et quelques siècles après, des pères de l’Eglise ont pris le relai en parlant du « sacrement du frère ». C’est en fait l’une des premières questions de Dieu à l’Homme, celle qu’Il pose à Cain dans le récit mythologique de la Création juste après la mort d’Abel : Qu’as-tu fais de ton frère ? Gn 4, 10. Parce que nous sommes responsables de nos frères et de nos sœurs. Pour la vie du monde. Et il doit y avoir bien des déclinaisons pour vivre comme des frères et sœurs, comme par exemple le partage de la gamelle du chantier ou du bureau avec ce que ça suppose, un jour ou l’autre, de quasi-confidences de grande joie ou de grande peine. Il y a bien des manières de se tenir la main.
Communier à ce pain-là engage aussi notre responsabilité envers la Création. Toujours dans ce récit rapporté dans le livre de la Genèse, il régnait au tout début une « harmonie entre le Créateur, l’humanité et l’ensemble de la Création » Laudato Si’ 66. C’était le jardin d’Eden où la vie était unifiée, bonne et belle. Mais la Genèse n’est pas un livre historique, c’est bien plutôt une promesse : en fait, nous marchons vers le paisible Eden, vers cette harmonie originelle et originale. Et nous en sommes responsables. Pour la vie du monde. C’est d’ailleurs vers cette promesse de l’Eden que beaucoup de compagnons des scouts et guides de France marcheront cet été pendant leur camp. Nous pouvons leur emboiter le pas : il doit y avoir bien des déclinaisons pour trouver notre place dans ce monde, comme notre manière de consommer ou de gaspiller, de générer des déchets ou de nous déplacer.
Il y a donc un lien entre notre communion au pain partagé, fréquente ou très occasionnelle, et notre engagement au cœur du monde. Plus qu’un lien même, il y a un va-et-vient permanent entre l’autel et notre quotidien. Ils se nourrissent l’un l’autre pour que notre monde puisse vivre d’une vie au-delà de tout soupçon, pour qu’il puisse même « vivre l’inespéré »[1] comme aime le rappeler Ambroise – séminariste de la Mission de France. Sans ce mouvement, entre l’autel et notre quotidien, la vie risquerait fort d’être aseptisée. En communiant ainsi au corps du Christ, nous pouvons alors devenir unifiants et porteurs d’harmonies sur notre terre, ensemble. Individuellement et collectivement responsables. Pour notre propre vie et pour la vie du monde.
C’est aujourd’hui la « fête du Saint Sacrement » comme on dit. Cette fête est une hymne à la vie, une vie que nous connaissons déjà… alors même que nous ne faisons que la pressentir tellement la promesse est grande : le non-sens de la Croix, comme tous les non-sens de nos vies, sont traversables. Cette Eucharistie ce matin, comme toutes les Eucharisties, célèbre cette traversée des non-sens de nos vies ; elle est du coup un immense merci adressé à Dieu pour cette vie donnée que nous recevons encore chaque jour. Et que tant d’entre nous aimerait enfin recevoir tellement le chemin est dur.
Enracinée dans ce va-et-vient entre ce qui se passe à l’autel et notre engagement au cœur du monde, enracinée ainsi, cette vie-là sera aussi contagieuse que tous les bisous qui peuvent encore se faire entre confinés et qui peuvent toujours se faire de tellement de manières différentes. Pour la vie du monde… si inouïe !
[1] Expression de Jean Debruyne dans Je te souhaite de ne pas réussir ta vie.
Références bibliques : Dt 8, 2-3. 14b-16a ; Ps 147 ; 1Co 10, 16-17 ; Jn 6, 51-58