Homélie du 10 octobre 2021 à Schaerbeek (Belgique)

« Il s’en alla tout triste, parce qu’il avait de grands biens ». Avouez qu’il y a de quoi être surpris par la réaction de cet homme de la parabole. La précarité n’est-elle pas à combattre et l’abondance de biens synonyme de sécurité ? Le confort matériel n’est-il pas source de réconfort plutôt que de tristesse ?

Pour bien comprendre le message paradoxal de cette parabole, reprenons le fil du
récit : notre jeune homme 
s’adresse à Jésus sous l’horizon de l’avoir et du faire « Maître, que dois-je faire pour avoir la vie éternelle » ? Il lit la vie sous l’angle du devoir, du mérite et de l’avoir. Il est tellement comblé de tout qu’il ne peut se séparer de rien. Il ne voit finalement pas que la vie est une richesse dans la mesure où elle se partage. A force de vouloir gagner sa vie, il en oublie la vie. En réalité, ce n’est pas jeune homme riche. Mais un pauvre possédé par ses possessions ! Avec beaucoup de signes extérieurs de richesses, mais sans vraie richesse intérieure...

Ne le jugeons pas. Ce jeune homme de la parabole, c’est en réalité vous et moi lorsque nous construisons cette vie reçue sur nos besoins de sécurité. C’est vous et moi lorsque nous nous réfugions derrière des protections bien légitimes. Quoi de plus normal, en effet, que de s’attacher à uune maison, une famille, une terre... Cependant, Jésus nous propose, même dans ces lieux-là, une expérience aussi radicale que féconde : se laisser aller à la fragilité et au manque ! Il s’agit de nous détacher de ce que nous avons pour devenir ce que nous sommes.

Lorsque le manque vient à manquer dans nos vies, la tristesse n’est en fait jamais loin. Il y a donc vraiment un manque qu’il nous faut gagner ! Il est cet espace qui nous permet de respirer ;
cet écart nécessaire pour nous ouvrir à l’imprévu.
Il est cette absence de certitude qui creuse notre désir de croire ;
ce courage d’aimer sans posséder ;
ce silence qui nous permet de prier ;
ce risque qui donne confiance ;
ce vide qui fait grandir notre espérance.

« J’ai prié, et le discernement m’a été donné. La sagesse est venue en moi, et à côté d’elle, j’ai tenu pour rien la richesse.» Vivre cette audace du manque, c’est finalement se rendre disponible à la présence de Dieu dans nos vies. Il ne s’agit donc pas de tout abandonner mais de tout recevoir autrement. Voilà la sagesse pratique de l’évangile : quitter son propre encombrement pour recevoir tout autrement.

Fort bien me direz-vous ! Mais comment pouvons-nous recevoir autrement ce à quoi nous devons précisément renoncer et dont il faut faire le deuil ?

Pour cela, je vous invite à un petit exercice pratique !
Il s’agit de revisiter votre histoire et vos relations avec la question suivante. Quelles sont vos richesses affectives, matérielles, spirituelles— auxquelles vous tenez le plus ? Quel est le

bien le plus précieux pour lequel vous vous en iriez tout triste si vous deviez le perdre ? Qu’est-ce qui vous retient ou vous tient le plus à cœur ? Il s’agit maintenant de recevoir cela autrement car « Nul n’aura quitté, une maison, une famille, une terre sans qu’il reçoive, en ce temps déjà, le centuple : maisons, frères, sœurs, mères, enfants et terres ».

Votre bien le plus précieux est peut-être votre épouse
ou votre époux, votre conjoint, vos enfants ? Les retrouver autrement, signifie dès cette vie-ci les voir non comme une terre conquise 
votre conjoint, vos enfants— mais comme des personnes qui vous sont confiées. Ne sont-ils pas des êtres dont la vie et le secret ne vous appartiennent pas... Il faut parfois quitter son père et sa mère pour les retrouver comme frères et sœurs en humanité.

Votre bien le plus précieux est peut-être ce que vous avez réalisé, un projet, une terre... Là aussi, il s’agit d’apprendre la vraie mesure de nos jours. Accueillir le manque afin de renoncer à tout sentiment de propriété, à tout désir de maitrise, à tout besoin de reconnaissance... Alors, dans cet esprit d’ouverture et d’audace, les fruits que nous récolterons seront la patience, la bienveillance et une vraie sagesse de vie.

Lorsqu’on ne manque de rien, comme le pauvre homme possédé par ses richesses, on n’a finalement besoin de personne. Mais lorsqu’on donne le tout de son être, on n’a plus rien à perdre ! On est libre. La sagesse du Christ consiste à se libérer, se déposséder du désir très masculin de vouloir posséder son salut, contrôler sa vie, afin de la recevoir autrement. Telle est la conversion profonde et radicale qu’il nous faut vivre.

A l’école d’une telle sagesse, vivre et aimer consisteront alors à trouver une vraie richesse et une joie profonde hors de nous-mêmes, au-delà même de notre santé... Nous pourrons alors nous réjouir pour les autres. Et même si la solitude, la maladie, la tristesse et le dégoût nous guettent en ces jours, osons regarder notre vie avec les yeux de Dieu, le Maître de l’impossible.
Qui peut nous faire passer de la mort à la Vie.
Amen.