« Le Fils de l’homme, quand il viendra, trouvera-t-il la foi sur la terre ? »
Voilà deux mille ans que ça dure ! Quoi donc ? Cette inquiétude qui a lancé, à la suite des apôtres, tant de missionnaires sur les routes du monde de tous les temps. Cette même inquiétude missionnaire qui a poussé les évêques français, saisis par la déchristianisation, à créer le séminaire de la Mission de France il y a 80 ans, à Lisieux sous le patronage de sainte Thérèse. Cette même inquiétude qui pousse des jeunes aujourd’hui à vouloir engager leur vie comme prêtres, en partageant la vie de leurs contemporains.
Contemplons l’histoire de l’Église et laissons-nous surprendre et émerveiller par la créativité de tant d’hommes et de femmes missionnaires, à l’écoute de l’Évangile et de leurs contemporains. Que nous soyons à Ivry ce matin ou devant notre écran de télé, nous formons une communauté bigarrée, fruits de cette propagation de la foi jusqu’aux extrémités de la terre.
Et pourtant… Si le Fils de l’Homme revenait maintenant, trouverait-il la foi sur la terre ? Regardons autour de nous et soyons réalistes ! Regardons aussi en nous-mêmes et soyons lucides : si le Fils de l’homme revenait aujourd’hui, trouverait-il la foi dans le monde ? en moi ?
Aujourd’hui, face à cette page d’Évangile, en entendant l’injonction de Jésus à « toujours prier sans se décourager », ai-je la certitude que ma foi est à la hauteur des attentes du Fils de l’homme ? Sûrement certains parmi nous pourraient témoigner de la joie d’avoir vu une prière exaucée. Mais combien sont-ils ceux qui pourraient témoigner de l’inverse : Dieu ne fait rien, Dieu ne répond pas, il reste silencieux… Et combien sont-ils à rester dehors encore ce matin, à ne plus mettre les pieds à l’église à cause d’une prière sans effet. Jésus serait-il en train de mentir sur la marchandise ? Que répondre aux déçus et aux sceptiques ? Que répondre à soi-même dans la nuit de nos doutes ? Peut-on dire : Ça ne marche pas par manque de foi ? Par manque d’insistance ? Par manque de patience et de fidélité dans la durée ? Quelle horreur ! Cela supposerait soit une relation intéressée à Dieu (ma foi contre une prière exaucée) soit une relation au mérite (ceux qui prient bien et sans se lasser seront exaucés). Donner sa vie pour ce visage mesquin d’un Dieu juge et comptable, non merci !
Mais c’est peut-être là qu’il faut mettre en relation la question finale de Jésus avec la parabole. « Le Fils de l’homme trouvera-t-il la foi sur la terre ? » Remarquons que cette question de Jésus n’est pas un jugement. Il n’est pas dit : attention, s’il ne trouve pas la foi, il va châtier ceux qui ont refusé de l’accueillir, voire ceux qui ont été de bien pauvres missionnaires. La question reste sans réponse, comme suspendue. Plutôt que de susciter notre culpabilité, elle vient réveiller notre liberté. Quelle réponse faisons-nous aujourd'hui à celui qui vient à notre rencontre ?
Se poser ainsi la question conduit à renverser une compréhension trop rapide de la parabole. Faut-il vraiment identifier Dieu au juge inique qui finit par rendre justice ? Ou bien n’est-il pas plutôt du côté de la veuve ?
Cette veuve anonyme est bien sûr l’image de tous ceux qui crient leur désespoir vers le ciel. Elle est peut-être aussi l’image de Dieu qui, « sans se décourager », se tourne avec persévérance vers l’humanité et vers chaque personne pour solliciter une relation de partage, d’échange, de réciprocité, de conversation. Saurons-nous briser les verrous qui nous tiennent enfermés chez nous comme ce juge prisonnier de lui-même ? Saurons-nous entendre dans le cri des désespérés la voix de Celui qui vient à nous sans se lasser ? Notre foi est d’abord une réponse confiante à l’amour qu’il manifeste en venant habiter parmi nous, cheminer avec nous, mourir comme nous pour que nous vivions de sa vie.
Disciples-missionnaires, habitons notre terre et cheminons avec nos contemporains. Laissons résonner en nous l’écho de leurs joies et de leurs espoirs, de leurs tristesses et de leurs angoisses. Ne soyons pas inquiets des temps derniers, mais laissons-nous inquiéter par la situation de celles et ceux qui sont, aujourd'hui, les derniers, comme cette veuve de l’Évangile. Chemin faisant, par ce compagnonnage fraternel, nous pourrons témoigner de notre espérance et de notre confiance en Dieu qui ne veut abandonner personne dans la solitude et dans la mort.
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