Le texte de l’Evangile est vraiment déconcertant. Il est divisé en deux parties sans aucun lien entre elles, du moins en apparence. De quoi s’agit-il ?
Dans la première partie de ce passage, il est question de foi. Jésus se trouve face à une demande étrange de la part de ses apôtres : « augmente en nous la foi ». Cette demande est étrange car elle inclut la foi dans le domaine du quantifiable, il y a une foi petite et une foi grande. De plus, elle est considérée par les apôtres comme une possession dont ils en ont la maîtrise. La réponse de Jésus « SI vous aviez de la foi » est déconcertante, car elle révèle que leur vision de la foi est illusoire.
Pour Jésus la foi est la foi, elle existe en soi, et il la compare à une toute petite graine de moutarde mais qui peut rendre possible nos impossibles. Pour expliquer cela, Jésus use d’une métaphore étonnante, celle d’un arbre qui se déracine pour être planté au milieu de la mer. Il s’agit probablement d’un sycomore arbre réputé pour ses racines très profondément ancrées dans le sol. De nombreux exégètes voient dans cette métaphore une allusion au psaume 1 où l’homme juste est comparé à un arbre planté près d’un cours d’eau qui donne du fruit. La mer signifie souvent dans la Bible un lieu de danger et de mort. La métaphore signifierait donc que l’homme juste peut se loger par la foi là où le mal règne et s’y tenir vivant même en triompher. Ainsi, la foi nous aide à nous enraciner là où cela semble impossible. Elle nous aide à traverser des épreuves, des deuils, des moments rudes. La foi ne supprime pas ces épreuves mais elle enracine la personne dans le réel de cette épreuve pour la traverser avec le Christ. Ce texte pourrait constituer une réponse au cri lancé dans le texte du prophète Habacuc « Seigneur combien de temps vais-je appeler ? ». Ce texte pourrait trouver écho parmi la majorité de la population libanaise qui subit la misère et le désespoir causés par une classe politique corrompue et incompétente.
La seconde partie du passage de l’Evangile semble sans lien avec le premier. Il s’agit d’une parabole de serviteur soumis à l’exploitation. Apparemment elle est choquante mais il me semble que la dynamique est toute autre. Jésus nous dit que la foi ouvre la voie vers un autre chemin, celui de l’engagement et du service mais dans une dynamique de gratuité. Et c’est là où l’on trouve le lien entre les deux parties du texte : une foi qui nous pousse au don total de nous-mêmes dans le service de Dieu et des autres, sans rien attendre en retour et tout en sachant que nul d’entre nous est indispensable mais que chacun est unique et à sa propre place. Cela est rude au regard de notre quête légitime de la reconnaissance. Et c’est là que la foi décape, dans son appel au désintéressement et à la gratuité. Cet appel de Jésus à une foi désintéressée est ancré dans son désir que nous soyons des femmes et des hommes libres des attentes vis-à-vis des autres et libres de la quête effrénée à la reconnaissance, quand bien même celle-ci est légitime. En langage ignacien cela s’appelle l’indifférence. Non pas l’indifférence pécheresse qui se détourne des autres mais l’indifférence dans le sens de saint Ignace qui est une liberté intérieure et une disponibilité totale envers la mission confiée au jésuite. Or cette indifférence saint Ignace ne l’a pas inventé, mais il l’a trouvé et écouté dans l’Evangile. Et c’est ce à quoi nous appelle l’évangile d’aujourd’hui. Un appel à être des hommes et des femmes justes et libres ancrés dans la foi.
Mes frères et les sœurs, ce texte nous révèle que la foi est un don de Dieu qui nous déracine de de nos habitudes pour nous envoyer en mission dans des milieux qui nous sont hostiles parfois. Ainsi, que notre réponse soit jubilatoire à l’instar du psaume 94 que nous avons entendu et ce malgré les épreuves que nous traversons au Liban et ailleurs et ensemble osons proclamer : « aujourd’hui ne fermons pas notre cœur mais écoutons la voix du seigneur ». Amen.
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