Homélie du 22 octobre 2017 à Woluwé-Saint-Lambert | Homélie du 22 octobre 2017

« Maître, nous le savons : tu es toujours vrai et tu enseignes le chemin de Dieu en vérité ». Traditionnellement, la vérité est présentée comme l’adéquation de la pensée et la réalité. Et en ce sens, la vérité consisterait avant tout en l’accord entre ce qui est dit et l’objet qui est énoncé. Or, la vérité est plus complexe que cela. Il s’agit avant tout d’un dévoilement, d’un travail à faire sur soi-même, afin de discerner l’essentiel, et de rendre à Dieu ce qui est à Dieu.

Notre monde occidental a un rapport quelque peu paradoxal à la vérité. Au niveau politique, nous voyons souvent des chevaliers blancs, des personnes aspirant à ce que toute la clarté soit faite. Et néanmoins, lorsqu’on parle de la Vérité avec un grand « V », il y a comme une peur, car nous savons qu’en son nom, le plus atroce est commis aux quatre coins du monde. La vérité nous fait souvent peur et par cela même, notre culture préfère l’utile au vrai. « César » prend ainsi la place de « Dieu » ! La politique oublie l’humain. Nous faisons des choses qui nous semblent certes utiles, mais sont-elles pour autant vraies, ajustées à ce que nous sommes réellement, ajustées à l’essentiel ?

Alors que certains se posent la question du « comment bien vivre ? » et que d’autres s’intéressent à « ce qui est vrai », l’essentiel est de réconcilier les deux. « Comme vivre cette vérité venant de Dieu ? » Pour le dire autrement : comment quitter ces masques de César, ces images de puissance qui nous rendent parfois hypocrites, pour découvrir en nous l’image de Dieu ? Voilà cette question qui nous est posée. Cette vérité —même si elle dérange— est donc utile lorsqu’elle se dit avec délicatesse et bonté. Lorsqu’elle nous aide à faire un tri sélectif dans notre vie, entre l’urgence et l’importance. Toutefois, acceptons-nous qu’un tel dévoilement se fasse sur nous-mêmes ? Car, il faut le reconnaître, nous rendons bien souvent à Dieu ce qui appartient à César. Dans ces moments, nous introduisons de la comptabilité en Dieu. La religion prend alors les traits du permis et du défendu. D’autre part, nous rendons souvent à César ce qui appartient à Dieu. Dans ce cas, notre temps… devient vraiment de l’argent ! Nous n’avons plus d’autre mesure que la rentabilité et notre vie devient affaire de droit et de devoirs. Notre temps —qui s’inscrit pourtant dans l’éternité de Dieu— est alors entièrement consacré au faire, à l’avoir, au paraître, au pouvoir…

Sur ce chemin de vérité et de discernement, le Christ nous invite à rendre à Dieu ce qui est à Dieu. Qu’est-ce à dire, sinon nous en remettre —non à nous-mêmes— mais à Dieu justement, en sa providence ? Avouez que ce mot fait un peu peur, tant il semble poussiéreux et désuet. La providence entendue classiquement comme l’intervention divine en ce monde au détriment de notre liberté— beaucoup d’entre nous n’y croient plus du tout. Cependant, il y a une profonde réalité derrière ce mot. Providence signifie « voir à l’avance ». Nous pourrions dire, voir « en avance ». Toutes et tous, il peut nous arriver de croiser de ces personnes providentielles, qui nous ont vu « en avance ». Elles se sont attachées à ce qui ne passe pas. Elles n’ont pas prédit notre avenir, mais elles nous ont offert des paroles bienveillantes qui se sont avérées par la suite… Elles nous ont aimés, avant même que nous puissions les aimer en retour. Parler de la providence de Dieu, c’est croire qu’il y a des personnes providentielles qui nous ont regardé en vérité, avant que nous fassions cette vérité sur nous-mêmes. Ces personnes ne se sont pas arrêtées à notre personnage, à notre masque, à notre apparence sociale. Elles ont vu, au fond de nous, l’image même de Dieu ! Parce que, de même que la pièce de l’impôt est frappée à l’effigie de César, notre cœur est, quant à lui, marqué du sceau de Dieu.

Bien entendu, il se peut que nous soyons dans une période de notre vie où un tel horizon semble lointain, où le désespoir a pris le pas sur la confiance. Il se peut que nous soyons dans une phase de lassitude où « la tendresse a déserté notre maison ». Mais n’est-ce pas justement quand notre avenir semble voilé, incertain, qu’il nous faut « rendre à Dieu ce qui est à Dieu » et s’attacher à ce qui ne passe pas ? Alors, nos yeux seront ouverts pour croiser des êtres providentiels, et — peut-être à notre tour— en être pour les autres. Amen