Avez-vous remarqué que dans le récit des disciples d’Emmaüs tout est double ?
Ils sont bien DEUX à s’éloigner de Jérusalem pour gagner le village situé à DEUX heures de marche. Précédemment dans ce même évangile de Luc, DEUX hommes en vêtements éblouissants se présentèrent aux femmes qui découvraient le tombeau vide (en fait elles étaient 2+1…). Il faut être au moins deux pour accueillir cette nouvelle inattendue.
A l’égal des disciples, nous sommes dubitatifs, accablés par la triste nouvelle de la mort de Jésus alors qu’il était pour ses apôtres « un prophète puissant en action et en paroles ».
Il a été crucifié par les détenteurs du pouvoir pour le faire taire.
Pourtant, disent les DEUX disciples, « nous espérions qu’il était celui qui allait délivrer Israël » ! Ces disciples fuient Jérusalem !
Face à leur perte de foi, heureusement l’espérance pointe le nez avec le témoignage étonnant des femmes, annonciatrices de la résurrection du Christ.
La conversion de ces DEUX disciples va passer par tous leurs sens humains alors que Jésus leur explique le sens des Ecritures. Ils l’écoutent au point de voir leur cœur et leur intelligence se convertir. Tout en marchant, le temps s’écoule rapidement.
Pour chaque disciple les DEUX yeux étaient aveugles, les DEUX oreilles étaient obstruées.
Au terme de l’étape, chacun aurait pu reprendre son chemin, se contenter de sa situation, s’abîmer dans sa tristesse. Mais il se sont montrés attentifs à leur compagnon de route. Comme le dit saint Augustin :
« L’hospitalité leur a rendu ce que leur incrédulité leur avait fait perdre »
C’est par un geste symbolique fort que Jésus dit qui il est :
de ses DEUX mains il prit le pain, prononça la bénédiction, le rompit et le leur donna.
Alors seulement les yeux de deux disciples s’ouvrirent et ils le reconnurent !
En les laissant, il a enflammé leur cœur (« ne brûlait-il pas en nous tandis qu’il nous parlait », s’interrogent-ils)
De cette question, de cette rencontre, les disciples tirent une certitude :
« C’est bien vrai ! le Seigneur est ressuscité ! ».
Et bien nous aussi, nous avons besoin d’éprouver la puissance de la rencontre avec le Christ. Nous la ressentons dans notre chair par tous nos sens !
C’est la Parole de Dieu que nous écoutons par nos oreilles et méditons dans notre cœur qui nous fait saisir la mission du Christ ;
C’est la proximité avec les pauvres et les malades dont nous nous approchons pour les servir et dont nous tenons les mains pour les apaiser par une caresse ;
C’est la contemplation de la création qui nous fait poser notre regard sur ce que Dieu nous a donné et dont il nous demande de prendre soin ;
C’est par notre bouche ou notre nez que nous apprécions la saveur et le parfum de tant de belles choses que nous composons ou dont nous voyons la floraison gratuite et naturelle.
Dieu nous parle par tout cela et nos sens nous permettent de l’admirer.
Ô notre foi peut se révéler borgne ou aveugle en ne voyant pas où Dieu se fait présent.
Elle est manchot quand nous refusons de donner un peu de nous-même.
Elle est sourde quand nous nous contentons de penser comme bon nous semble sans élargir nos horizons.
Elle perd le goût ou l’odorat quand elle devient fade et aseptisée à l’aune d’une société sécularisée qui ne laisse plus de place à Dieu dans la culture, les relations humaines ou l’éthique.
Frères et sœurs, tous nos sens nous aident à percevoir la présence du Christ parmi nous. Signe de leur richesse, nos yeux, nos oreilles, nos narines, nos mâchoires, nos mains, nos pieds, notre cœur et notre cerveau sont doubles…
Veillons donc à tirer profit de cette richesse intérieure et naturelle.
De cette complémentarité des sens provient notre aptitude à reconnaître combien le Seigneur peut transformer nos vies et tout notre être en luttant parfois avec nos handicaps et toujours avec le Christ à nos côtés.
Saint Augustin nous exhorte :
« Apprenez où vous devez chercher le Seigneur, apprenez où il vous sera donné de le reconnaître, c’est-à-dire lorsque vous êtes assis à la table sainte » (Sermon 235)
comme à Emmaüs
La table de l’eucharistie certes, mais aussi celle où nous rejoignons les affamés et assoiffés de Dieu.
Laissons-nous transformer par le Christ à l’égal de sainte Rosalie la contemplative et de la Bienheureuse Rosalie Rendu, apôtre de la charité !
Encourageons-nous les uns les autres. Nous sommes les disciples du Christ, parfois incrédules mais toujours en chemin de conversion !
Paroles de vitrail - Les pèlerins d'Emmaüs
L'abbé Pierre sur le chemin d'Emmaüs