Il m’arrive de recevoir, frères et sœurs, des courriers de téléspectateurs qui me disent avec une petite gêne ou bien le plus souvent avec une pointe d’humour … suivre la messe à la télé tout en ayant, l’air de rien, un œil sur les fourneaux de la cuisine ! Je sens déjà de l’autre côté de l’écran quelques oreilles se dresser, quelques regards inquiets. Diantre ! pris en flagrant délit .. où donc est la caméra cachée ? ! Mais enfin, me direz-vous, le repas du Seigneur que chaque messe célèbre ne permet-il pas aussi de consacrer un peu de son précieux temps pour le ragoût de bœuf aux pommes de terre-carottes qu’on laisse presque amoureusement mijoter sur le feu ?
Mes amis, à la veille de Noël, bonne nouvelle : l’évangile de l’Annonciation aujourd’hui voudrait réconcilier tout le monde, les Marthe aux fourneaux et les Marie qui prient. L’ange vient voir Marie, la jeune fille de Nazareth, chez elle, dans sa maison, au milieu de ses occupations, entre le plan de cuisine, la table à repasser et son oratoire. Voici une chute insolite pour bousculer l’histoire, la grande Histoire, la Sainte histoire, jusqu’à la nôtre. L’air de rien, avec souvent le sourire aux lèvres, les anges aiment à s'immiscer dans les églises ou les cuisines, au bord des routes ou des allées des supermarchés. Littéralement, en grec, les anges sont des « messagers », offrant la parole qui tombe à pic, celle venue du Ciel pour redonner de la vie à la terre. C'est-à-dire faire descendre une pluie de bénédictions quand trop de malédictions viennent assécher et endurcir notre propre cœur, mon propre cœur.
À Nazareth, donc, en un jour de l’histoire, un ange, Gabriel, a traversé le temps et l’espace, rendant visible ce que personne, à part Joseph, son fiancé, ne voyait vraiment : une jeune fille, dont la pureté du cœur tranchait avec l’orgueil des superbes de la ville de Jérusalem, de ces religieux-qui-savent-tout-sur-tout. « Comment cela va-t-il se faire? » demanda-t-elle humblement à l’ange. Car le messager lui avait susurré la promesse inouïe d’une naissance, dans sa chair et son sein, d'un “fils que l’on appellera Fils du Très-Haut, fils de Dieu”. L’air de rien, son corps allait devenir la demeure de Dieu, après bien des siècles de tentatives pour savoir où devait habiter le Seigneur. Dans la première lecture, le roi David cherche à construire cet habitat digne de Dieu. Il se fait vertement recaler. “Tu cherches à me faire un temple ?” Mais c’est moi qui vais te donner une maison !” Cette maison, Marie l’inaugure. Comme une servante, l’air de rien, humblement. Sa maison, c’est sa chair qui allait porter et façonner Jésus, la Parole de Dieu. De quoi, être « Comblée de grâce », comme lui dit l’ange. Tu m’étonnes! Dieu que l’on perd de vue si facilement dans nos vies obscures, se disait, là, à portée de voix, dans cette bourgade perdue de Nazareth pour annoncer son projet fou de naître d’une femme. Marie inaugure les temps nouveaux, qui jusqu’à nous, ce matin, se déploient. Pas moins pour chacun d’entre nous que la naissance de Dieu dans notre âme, dans notre histoire, dans notre chair. Quelle serait la recette ? Lui offrir un bout de notre cœur, peut-être le plus sombre, pour qu’il en fasse sa crèche. C’est simple - le gros du travail, c’est Dieu qui le fait- simple donc finalement difficile tant nous résistons à ce que « l’Esprit Saint nous prenne sous son ombre ». Sans doute faut-il commencer par se taire et murmurer, en dépit de tout, la parole de Marie : « Me voici. Que tout m’advienne selon ta parole. »
Car soyons convaincus que le grand désir de Dieu est de se coller à toutes nos histoires humaines, d’assumer chacune de nos existences pour nous remettre dans la Vie, et nous rassembler, et nous faire goûter la saveur de la communion. La grande mystique espagnole Thérèse d'Avila, constatant que ses sœurs pouvaient négliger le service des tables au profit de la prière dans la chapelle les rappela à l’ordre, l’air de rien, avec cette parole : « Dieu est aussi au milieu des casseroles ! » Allez, heureux les invités au festin des noces de l’Agneau !