Il y a quand même quelque chose de curieux dans notre manière de faire, vous ne trouvez pas ? De fait, ne vous êtes-vous jamais posés la question de savoir comment il se fait que nous sommes si facilement enclins à relever les petits travers des autres, alors que nous sommes bien souvent incapables, et refusons même ! de voir nos propres travers, parfois bien plus gros qu’une montagne ?
Telle est en tout cas la question que nous lance en pleine figure l’évangile de ce jour : qu’est-ce qui fait qu’il nous est plus facile de voir la paille qui est dans l’œil de notre voisin, que de voir la poutre qui est dans le nôtre, alors que, de toute évidence, la poutre qui est dans notre œil devrait nous empêcher de voir la paille qui est dans celui des autres ? Oui : qu’est-ce qui nous rend si perspicaces sur autrui et complètement aveugles sur nous-mêmes ?
Dans la parabole qu’il nous raconte, Jésus ne fait en réalité que constater ce fait qui, reconnaissons-le, constitue bien souvent la trame de nos vies… quand ce n’est pas celle de nos disputes quotidiennes ! Vous voulez des exemples ? Un seul suffira. À chacun de faire les transpositions nécessaires ! Ainsi, comment se fait-il que monsieur, exaspéré, fasse à madame le reproche qu’il manque juste un peu de sel dans la soupe, alors qu’il ne se rend même pas compte que, revenant des champs ou de la chasse, il entre au salon avec des bottes toutes crasseuses, salissant au passage toute la maison ? Non seulement il ne le voit pas, mais en plus, si madame lui en fait la remarque, même avec délicatesse, il s’en offusque et monte sur ses grands chevaux !
Or, si vous y regardez de plus près, vous remarquerez que la presse à sensation ou les ragots que nous sommes si friands de colporter ne reposent que sur ce ressort ! Pour minimiser nos travers, voire : nous faire faire l’économie de les regarder en face, nous prenons plaisir à mettre le focus sur ceux des autres en imaginant même faussement chez autrui les pires turpitudes pour les jeter ensuite sur la place publique. Il suffira alors d’une simple allumette pour mettre le feu aux poudres et ainsi brûler irrémédiablement la réputation des autres !
Comment expliquer ce mécanisme qui nous pousse à une telle duplicité du regard : à fausser notre regard sur nous-mêmes et à grossir outrancièrement les défauts des autres ? Ne serait-ce pas parce que, face à l’angoisse que nous éprouvons tous, plus ou moins, devant ce que nous croyons être notre propre « nullité », nous sommes spontanément tentés de considérer les autres comme une menace pour notre propre existence ? Or, pour nous protéger d’une telle menace et sauvegarder l’estime de nous-mêmes, quelle meilleure stratégie que de grossir la paille que l’autre a dans son œil et d’y voir une poutre !
Au fond, si notre œil est double, c’est bien parce que, comme Caïn devant Abel, nous pensons que le « préféré », c’est l’autre ; que l’autre nous fait donc de l’ombre, et donc qu’il faut l’évincer ; et que, pour l’évincer, il faut, sinon le tuer, du moins, mais cela ne revient-il pas au même ? le discréditer publiquement !
Reste alors une question ! Quel remède pouvons-nous opposer à cette terrible maladie qui, depuis les origines du monde, habite le cœur de l’homme et détricote si bien la vie sociale ? Il suffira d’une seule chose ! De remplacer notre œil, plein de duplicité, par un œil « simple » ! Mais qu’est-ce que c’est « avoir un œil simple » ? C’est avoir un œil qui refuse le jeu de l’envie et de la jalousie. Et comment cultiver un tel regard ? De deux manières : en repoussant les assauts du malin qui nous fait croire à notre propre nullité et nous pousse à envier les autres, à voir en eux une menace ! Puis, en posant sur soi un regard de bienveillance : le même regard que Dieu, en nous créant, a posé sur nous, un regard qui fait de chacun de nous une créature unique, tirée à un seul exemplaire, à nul autre pareil ! Nous deviendrons alors cet homme bon qui tire le bien du trésor de son cœur, qui est bon : un cœur rempli de la gratitude envers Dieu pour ce que nous sommes et d’émerveillement envers autrui pour ce qu’ils sont.