Homélie du 5e dimanche de Pâques | Homélie du 12 mai 2001

J’ai beaucoup hésité à vous parler sur cette phrase. En effet, le chrétien est facilement soupçonné de se gargariser à peu de frais de phrases de ce genre, quitte à laisser sa propre vie se calquer sur les façons de faire de son temps qui nous font viser, comme but essentiel, le confort, la réussite mondaine et l’argent. Deux raisons conjointes m’ont conduit, malgré tout, à choisir ce thème.

La première est cet homme que Reims célèbre aujourd’hui : saint Jean-Baptiste de la Salle. C’est au nom de l’amour évangélique qu’il n’hésita pas à compromettre jusqu’à sa carrière, une des plus belles en son temps, pour avoir voulu se consacrer aux enfants des pauvres et leur apporter la culture qui, à cette époque, était l’apanage des riches et des grands.

La deuxième raison est précisément cette jeunesse qui fut la hantise de Jean-Baptiste de la Salle et qui le demeure pour tous ses fils, les Frères des Écoles Chrétiennes, plus de trois siècles après lui. La jeunesse, n’est-elle pas l’âge de toutes les découvertes, de tous les apprentissages, et, parmi eux, le plus beau des apprentissages, la plus belle des découvertes : l’amour ?

Pour aider nos jeunes dans leur marche à l’amour, notre société leur propose le pire et le meilleur.

En des étalages innombrables, sans cesse renouvelés au fur et à mesure des découvertes techniques, depuis les kiosques à journaux, jusqu’à certains sites Internet, en passant par des jeux vidéo, raves parties et autres Loft Story, on leur propose les chemins de la facilité.

Pourtant, c’est vrai aussi, notre société propose d’autres chemins. Combien de jeunes savent se mettre au service du Tiers-Monde, du Quart-Monde, des handicapés ou, plus simplement, de l’alphabétisation, du soutien scolaire, que sais-je encore ?

Cette antinomie, ne pensons pas que ce soit notre temps qui l’ait inventée. Elle est vieille comme notre monde. Saint Augustin déjà, au IVe siècle, notait : " Il y a deux amours qui luttent l’un contre l’autre. D’une part, l’amour de soi jusqu’au mépris de Dieu (nous dirions de Dieu et des autres). D’autre part, l’amour de Dieu (nous dirions de Dieu et des autres), jusqu’au mépris de soi. "

Ce combat est engagé dans la moindre des rencontres amoureuses. "Je t’aime pour moi ou bien je t’aime pour toi." Ce même combat régit les plus immenses concurrences internationales. Tous les racismes, tous les colonialismes, ouverts ou déguisés, ont ici leur source, la même source qui alimente les conflits conjugaux ou familiaux, à savoir le combat entre les deux amours, l’amour de soi jusqu’au mépris des autres et de Dieu contre l’amour des autres et de Dieu, jusqu’au mépris de soi.

Comment se fait-il que Jésus se soit posé si fort en champion du second amour ?

Tout simplement parce que cet amour-là est sa nature même.

Rappelez-vous.

"Il ne retint pas le rang qui l’égalait à Dieu mais il s’anéantit jusqu’à se faire homme. S’étant fait homme, il s’anéantit plus encore jusqu’à la mort et la mort de la croix." Ce Dieu de tous nos rêves, ce Dieu de la béatitude éternelle, de la toute-puissance absolue, a voulu rejoindre sa bien-aimée, l’humanité. Voilà pourquoi il a renoncé à lui-même et à ses prérogatives divines. S’étant fait homme, il a encore renoncé à ses prérogatives humaines jusqu’à se laisser maltraiter, insulter, condamner injustement et crucifier. L’amour des autres et de Dieu jusqu’au mépris de soi.

Seul chemin de la vraie réussite humaine, et quelle réussite ! puisque Dieu a exalté Jésus et l’a élevé au-dessus de tout, dans la résurrection.

Jésus, vivant à fond le second amour, ne l’a pas inventé pour autant. L’amour évangélique n’est pas une invention de l’Évangile. Jésus a simplement révélé que cet amour était inscrit au plus profond de la nature humaine depuis la création. Cela explique que tant de personnes qui n’ont pas connu le Christ, savent pourtant vivre de ce second amour. Hélas ! Cet amour se trouve en nous comme enfoui, on pourrait dire enseveli. Jésus est venu le réveiller pour que nous y croyions enfin.

Si Jésus a pu nous montrer cet amour caché en nous comme notre nature profonde et oubliée, c’est parce qu’il nous révélait en même temps que ce même amour était la nature profonde de Dieu. "Dieu est amour" fera-t-il dire à saint Jean. C’est en réconciliant en lui la nature profonde de Dieu et la nature profonde de l’homme qu’il nous révèle le chemin de la véritable réussite de nos vies.

En un temps où beaucoup d’adultes redoutent les jeunes, où notre école se cherche avec angoisse, où nos générations ne réussissent plus à transmettre ce qui a pu les faire vivre, comment ne pas désirer de tous nos efforts que ce combat entre les deux amours soit clairement manifesté et que, sans défaillances, nous soyons nombreux, surtout parmi les éducateurs, à faire le bon choix, parfois héroïque, pour l’amour des autres et de Dieu jusqu’à l’oubli de soi.

Références bibliques :

Référence des chants :