Un Dieu qui désinstalle | Homélie du 8 janvier 2023 à Montigny-les-Cormeilles

Quelques jours avant noël, alors que je réfléchissais un matin de bonne heure sur l’homélie de ce jour, je suis tombé, grâce à mon téléphone portable, sur un résumé d’actualité fort éloquent d’une chaîne d’information en continue. 
Immigration : la version définitive d’une nouvelle loi prévoyant une nouvelle carte de séjour va être dévoilée.
Espace : la fusée qui venait de décoller depuis kourou s’est perdue dans les étoiles.
Transport : le jour de Noël un ⅓ des trains ne circuleront pas.
Hé beh mazette ! me suis-je dis ! Les rois mages en 2023 ne sont pas assurés de pouvoir atteindre nos crèches ! C’est pas gagnée, cette histoire ! 
Quel monde étrange, replié sur lui-même, et qui cherche dans le ciel sa porte de sortie à une vie ici-bas trop sinistre. 
Étrange modernité - si le mot a encore un sens - qui crie liberté à tous les niveaux et qui rend de plus en plus compliqués ou complexes, la vie ordinaire, la relation entre humains, l’itinérance, .., la confiance dans la vie, en somme ! 
Évidemment, dans ce monde, ce vieux monde, il y a l’Eglise, embourbée par des systèmes qui donnent envie à beaucoup de prendre la tangente. Mais quel tohu-bohu ! Les mages avaient trouvé une étoile à l’orient, et nous nous sommes plutôt dés-orientés. Mais si l’étoile cherchait d’abord à nous désinstaller ? 

Souvenez-vous : La nuit de Noël, les anges, dans le ciel étoilé, claironnaient : « paix sur la terre aux hommes de bonne volonté ! » Nous les connaissons, ces hommes de bonne volonté : il y a d’abord eu les bergers, ces exclus de la société. Et aujourd’hui ce sont des étrangers, qui en savent un peu plus sur le ciel que le commun des mortels. Mais où sont les autres ? Où sommes-nous ? Les pouvoirs politiques et religieux avaient pourtant été mis dans la confidences de l’étoile mais, eux, ont préféré rester dans l’apparente stabilité de leurs palais. Où sommes-nous ? La compagnie de Jésus n’est pas socialement ni religieusement adaptée à un monde lisse et bien propre. La naissance de Jésus vient bousculer les rétrécissements identitaires qui cloisonnent et étiquettent ce qui est bien, ce qui est mal. Jésus, dès la crèche, désinstalle notre petit confort, notre petit cocon où chacun ressemble trop à l’autre. Votre communauté, ici, aux multiples visages, en quelques générations ou en quelques années, d’un continent à l’autre, témoigne généreusement de l’actualité de l’évangile. Aujourd’hui, comme hier, et aux jours de la Nativité, la Bonne Nouvelle dépasse toutes les frontières. Première désinstallation : celle de notre milieu. 

Revenons encore en arrière : quelques semaines avant leur arrivée à Bethléem, les mages, pour être capables de se mettre en route et de laisser tout en plan, avaient joué leur vie. Ne pressentaient-ils pas qu’ils allaient découvrir ce qu’ils n’avaient pas encore découvert ? En scrutant le ciel, dans leurs laboratoires, ils avaient opté de ne pas s’installer dans leurs idées, ni leurs convictions mais de se laisser interpeller, questionner, surprendre. Notre cœur et notre tête ne sont-ils pas notre laboratoire pour être non pas des blasés, mais des curieux ? Et si on ne se lassait pas d’avancer ni de grandir, de questions en étonnement ?  Y compris et surtout dans la nuit, dans l’épaisseur de la nuit, celle du doute, ou du découragement. Le savoir des mages, comme leurs fausses-pistes ne les avaient rendus ni imbus, ni aigris. Ils étaient orientés vers la vie. Rien n’était un obstacle. Tout était un tremplin.  Deuxième désinstallation : celle de nos idées trop vite arrêtées. 

Derrière l’étoile lumineuse qui désinstalle, se cachait la lumière de Dieu lui-même. Qui est ce Dieu qui prendrait plaisir à nous désinstaller ? En vérité, Dieu lui-même s’est désinstallé. Lui, de condition divine, au-dessus de toute création, atterri dans une crèche, entre deux courants d’air, loin des palais du pouvoir. Un atterrissage de L’invisible dans le visible, de l’éternel dans le temps, de la puissance dans la faiblesse. En 2005, lors des JMJ de Cologne, où la tradition aime à dire que l’on y trouve les reliques des rois mages, le pape Benoît XVI, qui vient de nous quitter, exhortaient les jeunes à apprendre « le style de Dieu » : se donner dans la faiblesse d’un enfant, dans le pouvoir sans défense de l’amour. « Dieu est différent. Et cela signifie que, désormais, les mages, eux-mêmes, doivent devenir différents. » N’ayons donc pas peur. L’étoile du ciel, dans la paille de la crèche, est notre boussole. Et toujours, il nous devance et nous désinstalle.
 

Retour sur les 5 moments clés du pontificat Benoît XVI