Evidemment on se demande tous où était parti Thomas, la première fois que Jésus apparut dans la pièce verrouillée avec les disciples. J’ai ma petite théorie à moi. J’ai toujours pensé que Thomas était parti faire les courses. Eh bien oui, enfermés comme ça dans leur pièce, les disciples devaient tout de même bien manger, il fallait donc qu’il y en ait un en charge du ravitaillement. Ça montre que Thomas était serviable. Mais ça montre surtout qu’il n’avait pas peur, contrairement aux autres. Eux, la peur semble leur coller à la peau. Parce que même après la première apparition de Jésus, ils restent enfermés. Pas sûr qu’ils aient complètement intégré le message du Christ qui leur demande de sortir pour remettre les péchés du monde. D’ailleurs, on nous dit que les disciples étaient tout joyeux lors du premier passage de Jésus, mais enfin on ne les entend pas beaucoup. Ils ne posent pas de question, ils ne font même pas un geste. Le moins qu’on puisse dire c’est que c’était de la joie retenue. Ils auraient pu inviter Jésus à prendre un verre, ou même le faire attendre que Thomas revienne, mais non.
Thomas, lui, c’est le type le plus pratique de la bande – puisqu’il fait les courses – il a les deux pieds sur terre, et il n’a pas l’air convaincu par le récit de ses compagnons. Peut-être justement parce que, malgré ce qu’ils disent, ils n’ont pas l’air vraiment changé après cette première rencontre avec le ressuscité. Peut-être que leur comportement ne colle pas vraiment avec ce qu’ils racontent. Si vous aviez vraiment vu Jésus, pourquoi rester là, coincés entre quatre murs ?
Mais Jésus ne se laisse pas démonter. Il aime les défis. Il accepte celui de Thomas. Peut-être moins pour Thomas, d’ailleurs, que pour ses compagnons. Thomas, c’est le genre de disciple que Jésus aime bien. Parce que lui au moins, il ose aller au fond du problème. Il veut du concret, de la chair et pas que des mots. Et puis il veut parler directement, franchement avec Jésus, sans filtre. Pour tirer au clair tout cela.
Il ose donc, aller où ça fait mal. Ses mains dans les plaies du Christ. Il ose poser les questions qui fâchent. Il n’est pas gêné par les blessures, Thomas. Il veut juste comprendre. Ça doit arranger les autres, d’avoir ce compagnon un peu frondeur. Comme dans une classe, quand personne n’ose poser de question, et qu’il y en a un finalement qui se dévoue, plus téméraire que les autres. C’est peut-être un soulagement pour les disciples de voir la main de Thomas palper les plaies du Christ. De le voir discuter avec Jésus. Finalement, Thomas finit par croire à fond, pour tous ceux qui ne croyaient qu’à moitié.
Et d’où lui vient sa conviction ? Des blessures du Christ. De ce qu’il y a plus douloureux, en somme. Les traces de la haine que les hommes vouaient à Jésus. Des marques d’un corps rendu vulnérable aux clous et aux crachats. Bref, c’est le Christ faible, le Christ blessé, le Christ fragile qui donne à Thomas sa force. Et quelle force. Parce que Thomas comprend que si le Christ ose lui montrer sa propre faiblesse, les coups reçus, l’épreuve endurée, alors lui aussi peut faire de même. Et Thomas n’a plus peur d’avouer au Seigneur que, tout simplement, il ne croyait pas assez.
Quelle grande leçon. Qui n’a pas reçu dans sa vie, par sa faute, ou bien non, des blessures, dans sa chair ou dans son cœur. Qui n’est pas, ici, fragile ? On peut, longtemps, faire semblant d’ignorer ces histoires brisées dont nos corps et nos cœurs portent souvent la trace. On peut feindre la perfection et taire ses doutes. Mais l’on risque ce faisant de passer Pâques enfermé avec les disciples, coincé par l’image que l’on voudrait donner, prisonnier d’une perfection idéale à laquelle plus personne ne croit, ni nous, ni Dieu, ni les autres. Mais franchement, moi je n’en peux plus d’être enfermé.
Alors aujourd’hui Jésus nous demande, à chacun : « Tu voudrais cacher tes blessures alors que je te montre les miennes ? Tu as honte de ta faiblesse alors que j’exhibe la mienne ? » Pâques n’efface pas nos blessures, mais Pâques les transfigure. Pour que des lieux les plus morts en nous puisse jaillir la vie. Tellement de vie qu’elle sera contagieuse.