Deux hommes face à face. Voilà l’Évangile de ce dimanche. L’un est gouverneur romain ; il a pouvoir de juger, de faire libérer ou condamner. L’autre lui a été livré comme malfaiteur, agitateur, déstabilisateur de l’ordre public. Le premier a quasiment tout pouvoir, tandis que le second a déjà été bien malmené, est entravé, humilié, mis en état d’infériorité. Il ne risque pas moins que sa tête !
Cette scène-là, elle se produit, d’une certaine manière, tous les jours depuis des siècles, tous les jours depuis que les sociétés se sont données des tribunaux. Tous les jours, des hommes entravés, menottés, sont présentés à des juges, des procureurs, des tribunaux ou des cours. Tous les jours, ici en France et presque partout à travers le monde, le sort de certains se joue dans un face à face un peu semblable à celui que Jésus a connu devant Pilate. De vrais procès, garantissant les droits à la défense, et puis beaucoup trop de comparutions où celui qui est présenté est déjà condamné avant même d’avoir été entendu.
La grande différence, cependant, c’est que celui que les chefs des prêtres du Temple de Jérusalem ont livré à l’autorité d’occupation, ce Jésus de Nazareth n’est pas un malfaiteur ordinaire : les chrétiens, depuis mille ans, reconnaissent en Lui le Fils de Dieu, l’âme même de Dieu. Le drame même du procès devant Pilate prend donc une "sacrée" dimension : le Fils de Dieu au tribunal ! Celui qui appartient à l’intimité de Dieu, à l’Etre même de Dieu, mis en accusation ! Le Fils du Tout-Puissant se retrouvant à la merci d’un homme, tout gouverneur romain soit-il !
La mémoire chrétienne n’a pas entretenu une grande animosité à l’égard de Pilate. Et pourtant, sans rien trouver de condamnation dans l’attitude de Jésus, le haut fonctionnaire romain a préféré le faire mourir plutôt qu’affronter avec courage le haut clergé juif qui n’acceptait plus les critiques de Jésus et sa façon différente de proposer la relation du croyant à son Dieu. Mais les récits évangéliques n’ont pas accablé Pilate, probablement parce que Jésus lui-même a accordé un grand respect à son juge. Et dans ce face à face avec Pilate, il y a du même coup, quelque chose de notre face à face avec Jésus ! Car de la même manière que Jésus avait déjà eu l’occasion de demander à ses disciples : "Et vous, qui dites-vous que je suis ?", au gouverneur romain il demande : "dis-tu de toi-même (que je suis roi) , ou bien d’autres te l’on dit ?" Et dans cette question, nous sommes nous aussi interrogés : reconnaissons-nous en Jésus un roi, et si oui, quel roi ? Ce que nous confessons de lui, le confessons-nous de nous-mêmes, ou bien parce que d’autres nous l’on dit ?
Même déjà considérablement affaibli et humilié par l’arrestation, les coups et les injures, Jésus conserve le calme qui lui permet d’en appeler à la conscience de celui devant qui il est présenté. Lui ne prétend rien, n’impose rien. Il ne dit pas "Je suis roi", pas plus qu’il n’a jamais dit "Je suis le Messie !" Il donne à Pilate – et à chacun d’entre nous – la possibilité de reconnaître qui il est, c’est-à-dire : celui qui rend témoignage à la Vérité.
Même déjà considérablement affaibli et humilié par l’arrestation, les coups et les injures, Jésus conserve le calme qui lui permet d’en appeler à la conscience de celui devant qui il est présenté. Lui ne prétend rien, n’impose rien. Il ne dit pas "Je suis roi !", pas plus qu’il n’a jamais dit "Je suis le Messie !" Il donne à Pilate – et à chacun d’entre nous – la possibilité de reconnaître qui il est, c’est-à-dire : celui qui rend témoignage à la Vérité.
Or quelle est cette Vérité si insupportable que le haut clergé de la Synagogue a voulu en faire taire le témoin ? C’est la vérité de ce qu’est Dieu. Dieu est Amour. Dieu est Sauveur. Dieu ne veut pas violenter l’homme : il préfère subir la violence de celui-ci. Or cela ne peut qu’être inacceptable pour des pouvoirs religieux imbus d’eux-mêmes, aujourd’hui comme hier. Car si Dieu se révèle comme ne voulant exercer aucune violence religieuse, aucune pression, s’Il se définit, lui le Seigneur, comme le serviteur et le Serviteur souffrant, comment des pouvoirs religieux peuvent-ils justifier leur propre violence, leur volonté de pouvoir sur les âmes et les consciences ? Jésus a surtout été victime d’un procès religieux, avant d’être mis à mort sur ordre d’un pouvoir politique. Nous devons en être bien conscients, pour chasser hors de nous toutes les tentations qui peuvent être les nôtres et celle de nos Eglises de s’ériger en tribunaux des consciences, comme cela c’est malheureusement trop souvent produit au cours de l’histoire. Les inquisiteurs et autres polices des âmes ont pu exister et peuvent exister, parce qu’il y a en chacun de nous des inquisiteurs qui sommeillent !
Ce qui est en jeu avec le Christ se révélant comme Dieu parmi nous, c’est l’épanouissement de la personne humaine dans la gloire de la résurrection. Chacun, chacune est connu(e) de Dieu par son propre nom, et à chacun et à chacune il est proposé de pouvoir dire "oui" à l’offre de relation personnelle que Dieu fait aux uns comme aux autres. Un "oui" libre, spontané, joyeux. Et c’est cela qui constitue dès à présent le "Royaume". Pas un Royaume qui s’exprimerait en société politique parfaite dès maintenant, mais un Royaume des coeurs qui reflète le Royaume d’éternité où Dieu se tient et où il veut que nous nous tenions nous aussi.
Le Christ est roi parce qu’il est rassembleur des forces d’amour dont nos coeurs sont capables. Le Christ est roi parce qu’il permet que soient organisés en lui, autour de lui, avec lui, par lui de nouveaux modes de relations entre les hommes et entre les hommes et Dieu. Le Christ est roi, parce qu’il réunit les vivants et les morts dans la lumière de sa résurrection annonciatrice de la nôtre. Le Christ est roi parce qu’il fait de chacun d’entre nous, à commencer par les plus humbles, des participants possibles à sa gloire, si nous le voulons. Le Christ est roi, parce qu’il instaure dans les coeurs son Royaume d’amour et de paix, et que celui-ci transparaît déjà dans les oeuvres de ceux qui regardent vers lui. Le Christ est roi parce qu’il donne à chacun de ceux qui le lui demandent la force de lutter tout le mal qui défigure l’humanité.
Ce roi n’exerce aucune domination. Il continu de traverser nos villes et nos vies juché sur un ânon, comme hier dans les rues de Jérusalem. Il frappe à la porte de nos coeurs, prenant le risque de ne pas y être accueilli. Devant nous, il est aussi nu que devant Pilate, et il nous fait la même proposition : celle d’appartenir à la Vérité. "Qu’est-ce que la vérité ?" a répondu Pilate, par manque de coeur. "Tu es la Vérité et la Vie !" s’était exclamé plus tôt, en revanche, Thomas, l’un des douze. Alors prouvons par nos vies, que nous appartenons bien à ce roi-là, à cette Vérité-là !
Références bibliques :
Référence des chants :