JESUS RENCONTRE UNE FEMME QUI A PECHE | Homélie du 31 mars 2001

" Moïse nous a ordonné de lapider ces femmes-là, et toi qu’en dis-tu ? "
 Le piège est bien monté, le dilemme est implacable. Si Jésus se déclare d’accord avec Moïse, toutes ses paroles sur le pardon des pécheurs, sur le Dieu miséricordieux ne sont que du vent. Et s’il se prononce pour l’acquittement, il se met en opposition avec la loi. Pas d’échappatoire.
 Comment Jésus va-t-il sortir de là ? Que fait-il, penché à terre, veut-il éviter de croiser le regard de cette femme qui se sentirait jugée par l’homme de Dieu ? Que fait-il à griffonner sur le sable, veut-il éviter de pointer son doigt vers la malheureuse ? Soudain, il crève le silence par une de ces paroles dont il a le secret et qui bouleversera les débats de fond en comble : " Que celui qui est sans péché lui jette la première pierre. " Autrement dit, il demande d’abord aux juges de se juger eux-mêmes, en conscience. Il demande aux accusateurs s’ils n’ont pas à s’accuser eux-mêmes en conscience. Et vous savez la suite : ils s’en vont l’un après l’autre, à commencer par les plus âgés !
 Et cette femme a dû se souvenir toute sa vie des mots que Jésus lui a adressés : " Moi non plus je ne te condamne pas, va, et désormais ne pèche plus. "
J’ai dit, cette femme. C’est vrai, on ne connaît pas son nom. L’évangile ne le dit pas, ni non plus ce qu’elle est devenue. Ne cherchez pas, la réponse est simple : cette personne qui a péché, c’est moi, c’est peut-être vous, c’est sûrement nous, c’est l’humanité pécheresse.
 Mais alors, si c’est nous, c’est donc devant nous, ce matin, que Jésus se tient, et c’est à nous qu’il redit ces paroles. Ouvrons tout grand notre coeur. Que veut-il nous dire, à nous dans cette église du Christ-Roi à Toulouse, et à vous qui écoutez cet évangile devant votre écran de télévision ?

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Que veut-il nous dire ? La même chose, avec les mêmes mots : deux phrases énormes, aux significations immenses.
 La première : " Que celui qui est sans péché ose jeter la première pierre. "
Y a-t-il une phrase qui en dise aussi long, en aussi peu de mots et avec autant de justesse sur la condition humaine ? Qui peut s’ériger en juge de son frère ? Qui ? D’abord pour une simple et bonne raison de bon sens. Que sais-tu de cet homme que tu juges ? Que sais-tu de cette femme que tu condamnes ? Que sais-tu de ce couple qui a divorcé ? Peux-tu imaginer quelle fut l’enfance de ce jeune délinquant ? As-tu idée de ce qui a amené cet homme à se donner la mort ?
 C’était la première raison ; et voici la deuxième que nous suggère l’évangile : qui es-tu, toi-même pour juger ? Avant de juger ton frère, commence par te juger toi-même, en conscience. Et maintenant, écoute la parole de Jésus : " Que celui qui est sans péché jette la première pierre. " N’as-tu pas envie d’ouvrir ta main pour lâcher la pierre que tu t’apprêtais à lancer, la pierre tranchante du ragot, de la critique qui ternit une réputation, du jugement sans appel ?
 Cet évangile interroge chacun de nous à ce niveau-là. Il interroge aussi notre Église à ce niveau-là. C’est le Cardinal Martini qui, en commentant ce texte, a le courage de dire aux hommes d’Église de ne pas juger seulement en référence à une loi qui ne tiendrait pas compte des personnes, et des situations devenues parfois irréversibles. Hommes d’Église trop rigides ou couples " bien comme il faut ", retirons-nous du cercle des accusateurs et des juges.
 Au point où nous en sommes, j’aimerais vous proposer un instant de silence pour que chacun puisse s’interroger personnellement. Vous trouverez un autre moment pour le faire, n’est-ce pas ? Car je veux que nous prenions le temps d’écouter une autre parole. Ce dimanche en France, c’est la journée du CCFD. Eh bien ! les militants du CCFD, ces hommes et ces femmes qui agissent pour un monde plus solidaire, ces hommes et ces femmes qui refusent que des peuples s’enfoncent dans la misère et la famine, ces hommes et ces femmes ont quelque chose à nous dire. Non, nous ne changeons pas de sujet, car ce qu’ils veulent nous dire, c’est qu’à côté de l’égoïsme personnel, il y a l’égoïsme collectif. Le péché personnel fait des malheurs autour de nous, le péché collectif fait des drames dans le monde. Qu’as-tu fait de ton frère ? Pas seulement tes enfants et ta famille, pas seulement ton voisin de palier, pas seulement ceux qui vivent en France. Te soucies-tu du sort des pays en développement ? Le CCFD nous rappelle qu’on ne devrait pas s’accommoder si facilement de situations qui devraient nous faire hurler, parce qu’elles sont inhumaines et évitables.
 Merci au CCFD de nous le redire aujourd’hui. Nous comprenons encore mieux l’évangile de ce dimanche. Décidément, nous ne sommes pas sans péché, nous n’oserons plus jeter la pierre.

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C’était la première parole de Jésus, voici la deuxième : " Moi non plus, je ne te condamne pas, va et ne pèche plus. " Ces mots-là aussi ont une signification immense, à condition de bien les comprendre. Pour cela ne voyez pas dans cet épisode l’illustration d’une sorte d’indulgence de Jésus, de complaisance à bon compte, à la limite de la tolérance complice. Rien de ce qu’on peut savoir du Christ, ne se prête à cette interprétation. Non, Jésus ne ferme pas les yeux sur la gravité du péché, mais il les ouvre sur le visage du pécheur. Soyons clairs, Jésus a toujours dénoncé le péché, mais il a toujours accueilli le pécheur. Feuilletez l’album de famille, l’évangile, vous y rencontrerez Zachée, Matthieu, les publicains, Marie-Madeleine, la Samaritaine, et même le prisonnier de droit commun sur son poteau d’exécution.
 Jésus nous révèle le vrai visage de Dieu qui n’est qu’amour, non pas pour encourager je ne sais quel laxisme : tout est permis… mais pour proclamer la miséricorde. Dieu n’attend pas que nous changions pour nous pardonner, il nous pardonne pour que nous changions.

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Pour conclure, je vous laisse une dernière image. Je ne sais pas où je l’ai découverte, je la trouve très belle pour illustrer clairement mon propos. Vous la retiendrez aussi. Jésus n’est pas venu contredire les exigences de la loi. Les dix commandements gravés sur la pierre, Jésus n’est pas venu les abolir. Mais " Il sait de quoi nous sommes pétris, il se souvient que nous sommes poussière ". Et, ce jour-là, on a vu Jésus dessiner par terre, comme si la loi se dessinait en nos fragilités. C’est dans notre poussière que la main de Dieu a tracé les tables de la loi.

Références bibliques :

Référence des chants :