La transfiguration | Homélie du 28 février, 2e dimanche de Carême à Woluwe-Saint-Pierre (Belgique)

Après le désert des tentations (rappelez-vous l’évangile de dimanche dernier), voici la Montagne de la Transfiguration (Marc, 9, 2 à 10).  C’est l’étape lumineuse sur la route qui conduit à Pâques. C’est aussi l’étape capable d’éclairer notre route au cœur des incertitudes et des inquiétudes suscitées par cette pandémie dont on ne voit toujours pas, avec certitude, le bout du tunnel.
Je crois que la crise sanitaire que nous vivons est aussi une crise existentielle. Nos repères sont bousculés et les restrictions imposées finissent par peser sur le moral et sur ce qu’on appelle la santé mentale qui n’est pas sans incidence sur la vie spirituelle et religieuse.
L’évangile de ce 2ième dimanche du Carême nous invite à vivre une expérience de “transfiguration”.  Étymologiquement, nous sommes invités à voir au-delà des apparences pour y reconnaître la présence du Christ venue éclairer nos chemins d’humanité. Nous sommes invités à mettre nos pas dans ceux des Apôtres Pierre, Jacques et Jean.

Quelles sont ces étapes ?

1) Ce n’est pas pour rien que l’évangile nous dit que Jésus fut transfiguré sur une haute Montagne. Dans l’évangile – et plus largement dans la Bible – la montagne n’est pas seulement un lieu géographique. Elle est, symboliquement, un lieu de révélation. C’est une façon de nous dire : “quelque chose d’important va se passer”. Il nous fait prendre à la fois du recul (“à l’écart”) et de la hauteur (“sur une haute montagne”).
Le sens de ce que nous vivons ne peut pas se comprendre sans cette attitude intérieure qui nous permet de ne pas en rester au niveau du superficiel qui est souvent le lieu de nos médiocrités. Il s’agit plutôt de faire le chemin où, comme dit un psaume, “amour et vérité se rencontrent ; justice et paix s’embrassent”.  Je nous invite à mettre nos vies au diapason de l’amour, de la Vérité, de la justice et de la paix. Ce sont 4 clés qui ouvrent les portes du vrai bonheur.

2) On nous dit (dans l’évangile) que “Jésus fut transfiguré devant eux”. Il apparaît “dans sa gloire”, dit un autre évangéliste. La gloire n’est pas ce que nous en avons fait dans le langage courant. Dans la Bible – et donc aussi dans l’évangile – la gloire “doxa” en grec, c’est ce qui paraît sur nos visages quand ce que nous donnons à voir reflète et traduit ce qui se vit à l’intérieur. C’est cela “la Transfiguration” :  c’est voir au-delà des apparences quand il nous est donné de “voir l’invisible”. Rien de moins que cela !
N’en restons donc pas aux apparences car, dit l’Écriture, “Dieu ne juge pas selon les apparences”. Que ce piège nous soit épargné. Combien de souffrances n’ont-elles pas pour origine cette façon de vivre uniquement sur le mode de ce qui est superficiel, factice et sans relief. La Transfiguration nous invite à porter un regard neuf, sur le Christ certes et d’abord, mais aussi sur tous ceux avec qui nous vivons ainsi que sur les événements du monde et de l’Église.

3) C’est alors que Moïse et Elie apparaissent au côté de Jésus. Ce sont deux grandes figures bibliques qui ont marqué l’Histoire du Peuple de Dieu. Leur Histoire s’éclaire par la présence du Christ transfiguré mais c’est le Christ Lui-même qui vient éclairer le chemin qui fut le leur et que la Bible nous relate.
Comme chrétiens, ne faisons jamais l’économie de ce qu’on appelle l’Ancien (ou le Premier) Testament.  Leur Histoire est notre Histoire et Jésus Lui-même ne se comprend que comme celui qui vient accomplir ce que tant de prophètes ont annoncé.
Notez que, plus tard, sur une autre montagne qui est celle du Golgotha sur les hauteurs de Jérusalem, Jésus sera crucifié entre deux brigands. C’est le même mystère de l’Amour porté à son accomplissement : la gloire et l’Amour jusqu’à souffrir d’aimer, deux visages inséparables pour révéler qui est le Christ.

4) Dans le récit de la Transfiguration, c’est l’Apôtre Pierre qui prend la parole (Jésus ne dit rien, c’est sa présence qui parle !). Et Pierre dit : “il est heureux que nous soyons ici”. C’est le bonheur à l’état pur au point qu’il ajoutera : “dressons trois tentes : une pour toi, une pour Moïse et une pour Elie”. Ce n’est évidemment pas du camping dont il s’agit. La tente, c’est celle de la présence que nous traduisons dans nos églises par “tabernacle”.
Rien n’est plus grand que le Mystère de la présence qui se révèle dans la Vérité et dans la communion de l’Amour. C’est ce qu’ont dû expérimenter les Apôtres avec une densité insoupçonnée. Mais ce bonheur n’est pas un privilège qui leur est réservé. Il nous est décrit parce qu’il nous est donné si nous prenons le même chemin qu’eux.

5) Survint alors la nuée avec la voix du Père qui se fait entendre : “Celui-ci est mon Fils bien aimé; écoutez-le”.
° La nuée est, bibliquement, un signe de la présence de Dieu. Il y a la lumière mais ce n’est pas sans un voile qui empêche la clarté totale car, dit l’Écriture, “voir Dieu, c’est mourir”. La nuée, c’est la vision qui permet de garder le cap de l’Espérance. L’horizon n’est pas bouché. On dirait aujourd’hui qu’il y a des perspectives… car demain est possible.
° La “voix” n’est évidemment pas celle que les micros et caméras installés dans cette église Sainte-Alix peuvent capter mais il s’agit de cette voix intérieure venue des profondeurs du cœur. C’est la voix qui s’exprime dans toutes les langues parce qu’elle dit ce que le cœur peut entendre et ce que la foi peut faire comprendre.
Être croyant, c’est être sur la bonne fréquence, la bonne “longueur d’onde” qui permet d’ajuster nos curseurs au diapason de ce que Dieu veut nous dire. Même et surtout en cette période de pandémie.

6) Et puis vient le temps de redescendre dans la plaine. Ce fut, sans doute pour ces Apôtres, une expérience de ce qu’est l’éternité. Non pas l’absence du temps mais la plénitude du temps. La consigne du silence n’a pas pour but de les faire taire. C’est une façon de nous dire que cette “expérience” fut tellement intense que seule la Résurrection du Christ permettra le dévoilement de ce qu’ils ont vraiment vécu… et dont nous sommes aujourd’hui les heureux bénéficiaires.

7) Dieu nous accompagne sur nos chemins de vie. C’est ce qu’Il a fait avec Abraham et son fils Isaac (Genèse, 22, 1-2, 9-13 et 15-18). Dieu dit qu’Il ne veut pas de sacrifices humains. Il n’est pas celui qui se réjouirait de la mort de l’homme. Au contraire “La gloire de Dieu, c’est l’homme vivant”, dira Saint Irénée.
Je voudrais terminer en vous invitant, comme ce fut dit dans le film d’introduction de cette messe télévisée, à poser notre regard vers ces vitraux de notre église Sainte-Alix dont nous célébrerons le 20ième anniversaire de leur inauguration et de leur bénédiction le 6 mai prochain. L’Évangile du Christ transfiguré nous invite à laisser sa lumière nous rejoindre et nous pénétrer.

Seigneur ; fais de nous des passeurs de lumière.
Comme ces vitraux laissent passer la lumière du soleil sans atténuer sa clarté, donne-nous de laisser Ta lumière envahir nos cœurs.
À chacun(e), tu confies une couleur. Et c’est leur diversité qui fait leur beauté.
À chacun(e), tu donnes un morceau du vitrail car personne ne peut faire l’Unité à lui seul.
Donne-nous de rayonner de cette lumière qui jamais ne s’éteint, car tu en es la source intarissable et belle.

Amen.