Ma chair donnée pour que le monde ait la vie " (Jn 6, 51-58) | Homélie du 16 août 2003

Tournus

Nous sommes entrés dans cette église de Tournus. Dans sa beauté, elle est le signe d’une existence dans la foi, solidement fondée sur la Parole de Dieu. Silencieuse comme le mystère, lumineuse comme la grâce, solide comme une certitude intérieure.

L’incroyable : "Celui qui me mangera vivra par moi".

Pour la foule qui écoute Jésus à Capharnaüm, deux choses sont incroyables. D’abord, que cet homme, Jésus, vienne de Dieu : "Je suis le pain vivant qui descendit du ciel". Ensuite, que de Lui à chacun des hommes, il puisse y avoir cette communication, cette intimité, … et justement parce qu’il est Dieu même. Jésus prend un langage paradoxal. Il aime ainsi procéder par coups de poing, pour secouer notre lourdeur ou notre habitude. Par exemple, six fois, presque à chaque verset, reviennent dans notre texte, les mots : "Manger ma chair, boire mon sang", pour que nous comprenions qu’il s’agit du pain essentiel, qui nous fera vivre sa vie même donnée par amour.

La faim d’aimer

"Je suis le pain vivant qui est descendu du ciel". Ce n’est pas un pain pour rire. Dans le chatoiement des vacances, pour nous, " manger " est une fête, une chanson ! Mais cela ne peut pas nous faire oublier les peuples de la faim. Et les peuples de la faim nous font aussi penser qu’il y a en tout homme une faim essentielle, élémentaire : faim d’aimer, faim de se donner, faim de connaître Dieu. C’est pour cela que l’Évangile rejoint tout homme sans préjugés.
Frères, ces paroles sont difficiles à comprendre. Peut-être parce qu’elles n’ont pas été écoutées avec sérieux ? Pour les uns, elles sont trop liées à leur enfance. Pour d’autres, parce que les intérêts qui fondent leurs vies, leur position dans l’existence ou pour d’autres encore la dureté et les complexités de la vie les ont écartés de la foi. Mais il y a là la vérité de la condition de l’homme, le sens tolérable de ce que vivent les hommes lorsqu’ils sont atteints par le salut de Jésus Christ. Comme dit la Bible : "Aujourd’hui, écouterez-vous sa voix ?"

Il n’y a pas de vies plates et banales…

La dynamique de toute vie est d’apprendre à aimer, dans toutes les réactions de la vie quotidienne.
Le feu intérieur, l’intérêt d’une vie est justement cet amour. Tout homme le pressent un jour ou l’autre et Jésus le lui redit à l’intérieur de lui-même : "Tu peux".
Tout l’Évangile est dans cette patience inusable du Christ qui fait naître chacun au meilleur de lui-même : "Si quelqu’un mange ce pain, il vivra éternellement".
Le Christ nous donne envie de nous débarrasser sans cesse de ce qui est superficiel, de ce qui nous renferme égoïstement sur nous-même, sous le prétexte d’avoir raison ou de défendre nos droits.
Tout homme apprend cela de son expérience qui est souvent la première parole intime de Dieu en lui : les moments qui comptent, les moments heureux où nous sommes arrachés à l’ennui, sont les moments où nous comprenons avec les autres, où l’on se dévoue, où l’on est utile… où l’on pardonne peut-être, où l’on se remet à espérer, où l’on donne ce que l’on a… en un mot les moments où l’on aime – fût-ce à grand prix – et où l’on ose croire que l’on est aimé.

Le Christ comme nourriture : Sacrement et Parole

L’Évangile est plus qu’un livre de spiritualité. Il annonce un fait et une présence, la résurrection et la présence actuelle de Jésus : " Celui qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle, et moi je ressusciterai au dernier jour ".
Ces paroles, dites à la foule de Capharnaüm qui cherchait des miracles, il nous faut les joindre aux paroles du dernier repas de Jésus à la Cène, avec les douze apôtres.
La Passion approche comme l’ultime combat de son amour et il parle aux Douze : " Vous êtes vous, ceux qui sont demeurés avec moi constamment dans les épreuves".
Au milieu d’eux, Jésus prend le simple pain de nos tables et le vin de nos fêtes et il dit : "Ceci est mon corps livré pour vous, mon sang versé pour vous et pour la multitude". En ajoutant : "faites ceci en mémoire de moi", Jésus leur laissait sa présence en mystère et désormais sa passion accompagnait l’immense souffrance des hommes jusqu’à la fin des temps, pour amener chacun à la Résurrection : "Le pain que je donnerai, c’est ma chair, donnée pour que le monde ait la vie".
Mais savons-nous écouter les paroles de Jésus ? Quel sérieux leur donnons-nous ? Ecoutons-nous avec toute notre vie ? Drôlement, Joseph Delteil dit de Saint François d’Assise entendant l’Évangile "Va. Vends ce que tu as. Donne-le aux pauvres !" : "C’était pour lui comme une lettre d’amour, un commandement amiral !" Écouter, c’est mettre en pratique.
Ainsi, les paroles de l’Évangile de ce jour : vous souvenez-vous que Jésus parle de résurrection ? Vous souvenez-vous qu’il parle aussi de l’intimité profonde et réciproque : "Celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi et moi je demeure en lui". Cette demeurance est notre force : même si tu passes des moments difficiles, tu n’es pas seul. L’Apocalypse dit de même : "Je me tiens à la porte et je frappe. Celui qui m’ouvre, j’entrerai chez lui et je souperai, lui avec moi et moi avec lui".

Une existence habitée par le Christ

Ainsi, le christianisme n’annonce pas avant tout une vision du monde ou une théorie sur l’histoire. Il annonce une présence.
Les témoins de cette présence ? On pourrait dire tout homme, mais il arrive parfois que la lumière chez tel ou tel soit plus forte.
Lorsque l’Église désigne à l’attention de tous une existence "sainte" elle veut nous montrer une existence "habitée". Connaissez-vous Emmanuel Mounier ? Ce fut en même temps un grand intellectuel, philosophe, fondateur de la revue " Esprit ". À ce titre, au moment de la Libération, ce fut un homme d’action. J’ai repensé à lui parce qu’une famille traverse aujourd’hui une épreuve semblable à la sienne : sa petite fille, à sept mois, fut atteinte par une encéphalite. À cette époque, Mounier et sa femme surent très vite qu’elle resterait irrémédiablement blessée dans son corps et dans son intelligence.
Il écrivit alors à sa femme (il était mobilisé par la guerre) :  "Quel sens aurait tout cela si notre petite gosse n’était qu’un morceau de chair abîmée. Si nous ne faisons que souffrir, endurer, supporter, nous ne tiendrons pas et nous manquerons ce qui nous est demandé. Du matin au soir, ne pensons pas à ce mal comme quelque chose qu’on nous enlève mais comme quelque chose que nous donnons. Afin de ne pas démériter de ce petit christ qui est au milieu de nous, de ne pas le laisser seul travailler avec le Christ ".
Cet homme me donne envie de communier à ce " pain venu du ciel ", à cette présence du Christ, vie donnée pour que le monde ait la vie.

Références bibliques :

Référence des chants :