Ce sont presque les dernières paroles de Jésus en croix et ce sont celles-ci que la liturgie nous donne pour proclamer la royauté du Christ. Nous pouvons légitimement nous demander où se cache cette royauté sous ces humiliations ? Ces hommes ont décidé d’en faire un roi par dérision, mais lui, depuis le début a choisi d’être un roi par décision. Alors il ira jusqu’au bout : il ira à la mort et fera de la croix, son trône pour qu’on ne se trompe pas de royauté. C’est du milieu de cette Croix qu’il sera Roi ! Mais ce choix du Christ est tout sauf une évidence. S’il cache ainsi sa royauté c’est pour que nous la cherchions, que nous en découvrions sa teneur. Alors, cherchons-la. Je vous propose deux pistes.
La première à partir de sa décision de ne pas descendre de la croix : par trois fois, on le met au défi : les chefs des Juifs, les soldats et l’un des deux brigands : « Si tu es roi, sauve-toi ! » ; c’est-à-dire : « Évite-toi la mort ; épargne-toi la souffrance ». Si Jésus avait accepté cela, il aurait certainement perdu son pouvoir royal parce qu’il se serait peut-être sauvé physiquement mais il ne nous aurait pas sauvés. On ne sait pas si Jésus l’a pensé, mais l’Évangéliste, lui, a dû y penser en décrivant trois tentations pour que sa vie finisse comme elle avait commencé dans le désert de Judée : par trois tentations, trois tentations vaincues. Du début à la fin de sa vie humaine, c’est bien le même combat qu’il a mené : accepter ou non la condition humaine dans toutes ses dimensions… incluant la souffrance et la mort. Dès lors, sur la croix, Pilate se trompe : Jésus n’est pas le roi des Juifs, il est roi de l’humanité, vainqueur de l’ultime combat auquel tous nous serons confrontés, un jour : la mort. Mais Pilate ne le sait pas, car Jésus a enfoui sa royauté dans le don de sa vie : Non seulement il ne reste pas dans la mort, mais il ne conserve pas pour lui seul la victoire de sa Résurrection. En mourant, Jésus rend l’Esprit : c’est-à-dire qu’il meurt, mais aussi qu’il « rend » l’Esprit, qu’il redonne l’Esprit Saint à son Père pour qu’Il nous le donne : sa mort ne nous communique pas sa mort, mais sa vie. Il nous communique son pouvoir royal pour être nous-mêmes vainqueurs dans les tentations sous-jacentes à nos existences et aussi participants, par sa Résurrection, à la victoire sur la mort. II nous donne sa foi dans la vie, royalement, pour que nous traversions notre propre vie et l’heure de notre mort dans la confiance en son Père. Comme Lui. Avec Lui.
Ainsi entre la mort de Jésus Christ hier et ma petite vie aujourd’hui, il y a cette route royale qui met nos deux vies en connexion, en communion. De Lui à moi, de Lui à l’Église, il y a ce pont royal.
Un deuxième regard sur cet Évangile nous invite à découvrir un autre acte de royauté de Jésus mourant. Dans sa manière de dévoiler le coeur de ses deux compagnons de supplice. À l’approche de leur mort, chacun des deux malfaiteurs va révéler sa vérité : l’un dans l’aveuglement de son orgueil et probablement de sa souffrance, l’autre dans la splendeur de son sens de la justice et la reconnaissance de sa culpabilité. C’est à lui que Jésus promet un avenir d’éternité et d’intimité avec lui : « Aujourd’hui, tu es avec moi au Paradis ». Le pouvoir royal du Christ consiste à libérer le coeur de celui qui veut être libéré. Ce brigand sans nom, cet homme anonyme devient le premier homme que Jésus canonise de son vivant ! En quelques paroles, l’assassin est devenu assez saint pour s’ouvrir une voie royale : Le Christ l’emmène dans son paradis. Et comme nous ne valons probablement pas moins que cet homme, nous pouvons nous demander si ce paradis ne nous est pas aussi accessible. Et si ce paradis était le pardon même du Seigneur ? Dans leur dialogue, il y a tous les éléments du pardon : la vérité, une reconnaissance de culpabilité, un appel à la miséricorde et le don d’un avenir.
Ainsi, chaque fois que nous consentons à laisser le Christ libérer notre coeur, nous participons à ce pouvoir royal. En recevant la parole du Christ, son pardon, nous allons à la source de ce pouvoir qui nous est donné de pardonner nous-mêmes à ceux qui nous offensent. Ah, si cela pouvait être aussi simple, aussi logique dans nos vies !
Je me souviens d’une histoire :
Quelqu’un entre en rêve dans un magasin. II voit un ange derrière le comptoir et lui demande :
– « Que vendez vous, ici ? »
– « Tout ce que vous voulez » lui répond I’ange.
– « Alors, dit l’homme, voyant à qui il avait à faire : je veux… voir la fin de toutes les guerres, la suppression de la misère dans le monde, la justice pour les pauvres, la réconciliation entre les peuples… »
L’ange l’arrêta :
« Excusez-moi, nous ne nous sommes pas bien compris. Nous ne vendons pas de fruits ici, nous ne vendons que les graines. »
La graine ! le germe ! la capacité ! la force ! Dieu dépose en nous la capacité de pardonner, mais c’est à nous de la faire grandir, de la mettre en oeuvre : Chaque fois que nous remportons la victoire du pardon sur une vengeance ou une rancune trop habituée, nous faisons descendre un morceau de paradis sur terre. Nous mettons un peu de sainteté dans notre monde de brutes. Nous participons à cette royauté du Christ : Un pardon donné aujourd’hui, c’est une victoire du Ressuscité.
Béni sois-tu, Christ Jésus, de déposer en nous une telle vocation !
Références bibliques :
Référence des chants :