Messe du 2e Dimanche de Pâques | Homélie du 10 avril 1999

Cher Monseigneur Séjourné,
Frères et Soeurs en Jésus-Christ,

« Mon Seigneur et mon Dieu ». Le cri de foi de Thomas est un cri de joie. C’est aussi le nôtre, au coeur de cette Eucharistie, où Jésus se donne à nous en nourriture sous les espèces du pain et du vin. Nous sommes dans la joie de Pâques, en ce dimanche, mémorial de la Pâque du Seigneur, et qui est aussi anticipation de l’éternité qui s’ouvrira pour nous, au terme de la succession de nos semaines terrestres.

Car pour Dieu, un jour est comme mille ans et mille ans sont comme un jour. Mille ans, un millénaire, c’est comme un gouffre insaisissable pour notre imagination. Quand j’étais enfant, j’entendais parler de l’an mille comme d’un passé mythique quasi légendaire, et l’an deux mille apparaissait si lointain qu’il revêtait une coloration intemporelle. Et voici qu’aujourd’hui j’ai le privilège d’être l’Envoyé Extraordinaire du Pape de l’An 2000 pour le millénaire du Pape de l’An 1000, le premier pape français, qu’il me revient de célébrer au nom du premier pape polonais. L’Église s’incarne dans le flux des temps et le mystère de l’Incarnation se poursuit à travers le temps par le ministère de l’Église, « Jésus-Christ répandu et communiqué ».

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Nous évoquons aujourd’hui le ministère pape de Gerbert d’Aurillac, moine, évêque et pape dans l’Église de son temps, intellectuel et homme d’action, savant, diplomate et homme d’Église, qui sut conjuguer l’art de bien vivre et l’art de bien dire, faiseur et défaiseur de rois, secrétaire du Roi de France Hugues Capet, puis de l’Empereur Othon III le germanique, lettré ami des livres et des hommes, rompu à la science arabe et à l’astrologie, passionné aussi bien de médecine que de mécanique, d’un savoir encyclopédique et capable d’inventions pratiques sphères, machines à calculer avant la lettre. « Unissons toujours, disait-il, la science et la foi ». Entré tout jeune au monastère, en l’Abbaye bénédictine de Saint-Géraud d’Aurillac, Archevêque de Reims en France, puis de Ravenne en Italie, il est élu Pape le 2 avril 999. Son pontificat fut de brève durée puisqu’il mourut le 12 mai 1003. Bref, mais intense, il laissa durablement sa marque dans l’Église.

D’abord défenseur intrépide des droits des évêques, puis grand serviteur de la Papauté par-delà les frontières des nations alors en gestation, c’est le Pape Sylvestre qui fait de Gniezno la métropole de l’Église de Pologne qui compte plusieurs diocèses suffragants, dont celui de Cracovie, qui nous donnera, à un millénaire de distance, Karol Wojtyla, notre Pape Jean-Paul II. C’est lui aussi qui nomme un Archevêque à Esztergom, aujourd’hui encore Siège du Primat de l’Église de Hongrie, et qui bénit le Prince Étienne de Hongrie en l’An 1001. La fameuse couronne royale de Saint-Étienne est conservée à Budapest, où elle demeure le symbole d’une continuité historique indissolublement liée à l’évangélisation. Ainsi Gerbert d’Aurillac, Pape Sylvestre II, pousse les frontières de l’Église jusqu’au-delà de la Vistule et du Danube, au coeur de l’Europe. Et c’est lui qui instaure pour toute l’Église, le 2 novembre, la commémoration des fidèles défunts, où nous aimons fleurir les tombes de nos proches au cimetière et prier pour tous nos défunts.

Gerbert d’Aurillac, moine auvergnat et évêque français, pape de l’Église catholique, l’homme le plus cultivé de son temps, qui acquis une science singulière en Catalogne et une autorité d’enseignant hors pair à Reims, contribue à une renaissance intellectuelle en Europe. J’aime le souligner : la croissance de l’Église va de pair avec l’intelligence de la foi au coeur des cultures. D’un millénaire à l’autre, l’Église, sous la responsabilité de ses pasteurs, ne cesse de parler les langues des hommes pour leur dire la Parole de Dieu, non pour accommoder l’Évangile au goût du temps, mais pour lui donner le goût de l’Évangile.

Aujourd’hui les historiens ont débarrassé la biographie tourmentée du Pape Sylvestre des légendes qui l’encombraient. Nous comprenons mieux la controverse de Gerbert avec la Papauté qui lui paraissait empiéter sur les droits des Évêques. La vie étonnante du premier Pape français, à un millénaire de distance, nous révèle son génie diplomatique et missionnaire pour implanter l’Église au coeur de l’Europe. Il fut à la fois l’ami de l’Empereur Othon III et de saint Adalbert, Évêque de Prague et martyr, premier patron de la Pologne, qu’il canonisa, voici précisément mille ans. Le Pape Jean-Paul II, qui sait son histoire, connaît bien ces grandes dates millénaires, au moment où il nous invite à célébrer le Grand Jubilé de l’An 2000, alors que l’Europe cherche à nouveau son identité spirituelle dans la diversité de ses expressions culturelles et non sans ces déchirures tragiques que nous portons dans notre prière. Il va, le 15 juin prochain, à Cracovie, dont il fut l’Archevêque, inaugurer le millénaire de l’érection de son Diocèse par le Pape Gerbert d’Aurillac, son prédécesseur de l’An 1000.

Ainsi l’Église poursuit-elle son pèlerinage à travers les siècles, en nous conduisant du temps à l’éternité sous la guide du Christ, Chemin, Vérité, Vie.

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Frères et Soeurs,

« Mon Seigneur et mon Dieu ». Avec l’Apôtre Thomas, avec Gerbert d’Aurillac, Pape Sylvestre II de l’an mil , avec Karol Wojtyla, Pape de l’Église de l’an 2000 ; avec toutes les communautés chrétiennes répandues à travers le monde, nous vivons la même foi au Christ ressuscité, avec toute l’Église, une, sainte, catholique et apostolique, communauté de foi, d’espérance et d’amour. « Assidus à écouter, l’enseignement des apôtres et à vivre en communion fraternelle, à la fraction du pain et aux prières, les fidèles mettaient tout en commun ». Cet idéal des Actes des Apôtres c’est toujours le nôtre aujourd’hui. Comme le dit saint Pierre, Apôtre et premier Pape, « Lui que vous aimez sans l’avoir vu, en qui vous croyez sans le voir encore, et vous tressaillez d’une joie inexprimable ». Pierre et les disciples sont remplis de joie quand ils voient le Seigneur et ils reçoivent du Christ ressuscité la mission apostolique :
« De même que le Père m’a envoyé, moi aussi je vous envoie ». Thomas , après avoir douté, entre lui aussi dans la joie de la foi. Et Jésus lui dit : « Parce que tu m’as vu, tu crois. Heureux ceux qui croient sans avoir vu ».

Heureux sommes-nous, Frères et Soeurs, qui croyons sans avoir vu et qui dans la foi en Jésus ressuscité, avons la vie en son nom. Thomas l’incrédule est devenu apôtre et a porté le message de Jésus jusqu’en Inde. Mille ans après, Gerbert d’Aurillac, devenu Pape Sylvestre II, a implanté durablement l’Église au coeur de l’Europe, de Gniezno en Pologne à Esztergom en Hongrie. Et voici que mille ans plus tard, aujourd’hui même, Karol Wojtyla venu de Cracovie, successeur du Pape de l’An 1000, nous invite nous aujourd’hui à une nouvelle évangélisation au seuil de l’An 2000. Comme ceux qui nous ont précédés dans la foi, avec joie partageons notre amour de Jésus dans la fidélité à l’enseignement des apôtres, la communion fraternelle, la participation aux prières, et le partage eucharistique. Nous le faisons en entrant dans l’année du Grand Jubilé avec la foi de Thomas, la foi de Pierre et la foi de ses successeurs, en particulier celui que nous célébrons chez lui, en son terroir, l’intrépide Gerbert d’Aurillac, Pape Sylvestre II, qui nous réunit ce matin à un millénaire de distance de son Abbaye d’Aurillac, avec la Bénédiction de son successeur le Pape Jean-Paul II : au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit. Amen.

Références bibliques :

Référence des chants :