Messe du Jour de Noël | Homélie du 24 décembre 1996

Je suis toujours impressionné par l’impact du récit que nous venons de lire. C’est à la fois l’un des plus simples et des plus universellement connus de l’Evangile. Il nous invite à guetter les signes de la présence de Dieu parmi nous et à nous en faire les messagers.
 Hier matin, comme chaque année, j’ai célébré Noël, près d’ici, avec plusieurs centaines de détenus à la prison de Fresnes. Quand ils chantent, et avec le coeur, ce récit évangélique " les anges dans nos campagnes ", je suis toujours frappé par la gravité et la paix de leur visage. Nous sommes alors confusément conscients de vivre les uns et les autres un moment privilégié. Nous faisons ensemble une sorte de pèlerinage à des sources profondes où nous nous retrouvons tous frères. Cette communion va bien au-delà d’un simple sentimentalisme de surface. Frères entre nous, nous sommes aussi frères avec les bergers de l’Evangile.
 Vous l’avez peut-être remarqué, dans le texte d’Isaïe que nous avons lu tout à l’heure, il est question de " guetteurs " qui se font " messagers ". C’est en définitive ce que sont les bergers de Bethléem. Ils guettaient la venue de l’envoyé de Dieu. Ils annoncent la nouvelle dès qu’ils croient l’avoir découvert. C’est ce qu’aujourd’hui nous sommes invités à faire nous aussi.
 Nous savons tous ce que d’est d’être aux aguets. Ne vous est-il jamais arrivé d’être aux aguets dans l’attente d’une lettre, d’un appel téléphonique, du retour d’un être cher ? Regardez ces jeunes parents penchés sur le berceau de leur bébé pour guetter son premier sourire. Regardez ces familles anxieuses de voir leur malade accidenté ou dans le coma reprendre conscience, parler, rétablir le contact.
 Cette attitude de guetteur nous la connaissons bien, elle révèle quelque chose de très profond dans l’homme. Nous sommes tous habités par des désirs vitaux, qui creusent en nous l’attente, l’envie. Nous avons soif de paix, de bonheur, de connaître, d’aimer, d’être aimés, de vivre. Parce qu’il est un être de désir, l’homme est un être aux aguets. Il n’est qu’à voir la place de l’espérance dans nos vies pour nous en rendre compte. Rien n’est plus terrible que de ne plus rien attendre ni de la vie, ni de personne.
 Nous voici donc appelés à imiter ces bergers. De guetteurs, ils nous invitent à devenir messagers. Mais guetteurs et messagers de quoi ? De qui ?
 N’allons pas imaginer les bergers comme des hommes ou des croyants extraordinaires. Je lis en note dans la traduction oeucuménique de l’Evangile de Luc : " Les bergers sont alors mal vus en Israël, car ils vivent en marge de la communauté pratiquante. Ce sont des petits, des pauvres. " Qui que nous soyons, nous pouvons donc nous mettre à l’école de ces hommes pour les suivre dans leur démarche.
 Ce sont certes des croyants mais la simplicité même de leur vie a développé en eux une sorte d’intelligence du coeur faite de sagesse, d’humilité, de liberté intérieure. Ils me font penser aux " pauvres de coeurs " dont parle Jésus dans la, première béatitude. Jésus dit d’eux : " Le Royaume des cieux est à eux ". Ces hommes-là sont sensible s aux signes du Royaume de Dieu, ils les reconnaissent plus facilement que les autres. De quels signes s’agit-il ?
 " Dieu est amour " écrit saint Jean. L’amour est son domaine. Le Royaume de Dieu est un Royaume de paix et d’amour. C’est cette paix, cet amour qui frappent les bergers quand " ils découvrent Marie et Joseph avec le nouveau-né couché dans une mangeoire ". Ils voient là l’illustration du message qu’ils ont reçu : " Paix sur la terre aux hommes ses bien-aimés. "
 Voilà donc le chemin qu’ouvrent pour nous aujourd’hui les bergers. Nous sommes invités à être, avec eux, dans le quotidien le plus humble, à l’affût des signes d’amour et de paix que nous pouvons trouver sur notre route. Le meilleur signe de la venue ou de la présence de Dieu parmi nous, d’est la qualité de l’amour qu’il nous donne de vivre. Là où est la charité, l’amour, Dieu est là.
 Mais attention, l’amour ce n’est pas n’importe quoi. Aimer, n’est pas chose facile. A longueur de vie nous avons tous à apprendre à aimer. Beaucoup de nos malheurs actuels viennent de ce que l’amour chez nous est malade. Le mot comme la réalité sont trop souvent galvaudés. Les estropiés de l’amour remplissent nos villes et nos villages. Quand l’amour est malade, je le constate tous les jours, les hommes souffrent. Parfois ils sont mutilés à vie. Et des familles éclatent. On se déchire entre voisins, entre compagnons de travail, entre races, entre nations. La haine et la violence ne sont pas loin lorsque l’amour est par trop défiguré.
 Nous sommes donc finalement renvoyés à l’Evangile. Près de toute personne rencontrée Jésus était à l’affût de tout signe d’amour vrai. Il s’y reconnaissait. Il s’est fait le messager de l’amour. C’est tout le sens de sa mission. C’est pour cela que le récit de sa vie s’appelle Evangile, c’est à dire Bonne Nouvelle.
 En ce jour de Noël, nous sommes appelés à vivre dans son sillage. Soyons nous aussi, et à sa suite, à l’affût de tout signe, même ténu, d’amour vrai. Accueillons ce signe comme une bonne nouvelle. Nous avons nous-mêmes d’abord à nous en nourrir, nous ne gardons pas pour nous cette bonne nouvelle. Il faut que l’amour soit contagieux, pour s’épanouir en espérance et en paix. Le monde en a tant besoin. Aller dans cette direction, c’est nous ajuster au Royaume de Dieu, car là nous vivrons en frères, pour l’éternité. Nous avons été créés pour cela. Telle est notre vocation d’homme et de femme. C’est en tout cas, un appel pressant, l’appel de Noël, pour nous aujourd’hui.

Références bibliques :

Référence des chants :