Vers quoi marchons-nous ? | Homélie de la messe du 8 novembre 2020 à Paris

Vers quoi marchons-nous ? | Homélie de la messe du 8 novembre 2020 à Paris

Vers quoi marchons-nous ? Vers la fin du monde ? Vers la fin d’un monde ? L’évangile nous propose une perspective tout autre : nous sommes en route vers des épousailles. « Le Royaume des Cieux sera comparable à dix jeunes filles invitées à des noces ». La parabole est une énigme, elle ne dit pas tout, elle appelle ceux et celles qui l’entendent à réfléchir encore et toujours.

Les dix jeunes filles vierges invitées à des noces sont promises à en connaître un jour la joie, elles l’anticipent en accompagnant l’épousée du jour. L’humanité est appelée à la joie des invités : ils entrent dans la joie des époux comme une promesse pour leur propre joie. Mais l’époux tarde. Nous savons bien tous ce que cela veut dire, nous l’éprouvons suffisamment. Qui aura assez d’huile pour rallumer sa lampe lorsqu’enfin l’époux survient ? Ce n’est pas une question d’argent, car l’argent, en régime chrétien, se partage ; ce n’est pas une question de statut social ou ecclésial, car, en régime chrétien, l’huile d’allégresse de l’Esprit-Saint est donné en abondance à chacun.

La première lecture nous met sur une piste : l’huile de la parabole, ce pourrait être ce que l’Écriture sainte appelle la sagesse. Car la Parole de Dieu ne tombe pas sur l’humanité comme un décret arbitraire : elle vient rejoindre en nous l’intelligence et la volonté et notre liberté. Elle attend de nous, les humains, que nous la reconnaissions, que nous l’intériorisions, que nous l’aimions. Notre Créateur voudrait que nous communions avec son dessein, de notre mouvement intérieur le plus profond. Au fil du temps, nous avons à recueillir peu à peu ce que nous percevons de la sagesse de Dieu dans son œuvre créatrice, dans les expériences de la vie, dans les sagesses humaines et aussi dans ce que la Parole divine a parfois d’abrupt, pour que tout cela distille lentement en nous, à l’intime de notre liberté.

Ainsi se constitue en chacun une réserve aussi abondante que possible de sorte que notre liberté profonde, par laquelle nous nous engageons dans nos actes et nos pensées, soit imbibée constamment de la sagesse qui vient de Dieu. Cela ne se peut partager. Nous ne pouvons être sages pour les autres. Nous ne pouvons prendre la sagesse des autres. Nous pouvons, certes, nous indiquer les uns aux autres des ressources, nous pouvons désigner des lieux sûrs, des personnes sages, nous pouvons nous donner les uns aux autres des conseils mais le travail de la sagesse en chacun ne peut être que l’œuvre de chacun. La sage biblique nous dit encore deux choses : la sagesse nécessaire pour participer aux noces, il faut la viser en tout moment et occasion et, cependant, « au détour des sentiers, elle apparaît avec un visage souriant » à ceux et celles qui sont dignes d’elle.

 

Lorsque nous, évêques, nous nous réunissons à Lourdes en assemblée, nous recherchons ensemble la sagesse. Nous nous y entraidons par le partage de nos réflexions, par nos échanges impromptus, par le travail plus élaboré présenté par tel d’entre nous et nous nous aidons aussi à accueillir la Sagesse qui vient à nos devants, lorsque nous célébrons ensemble ou que nous méditons chacun dans notre chambre ou que nous nous regroupons devant la grotte de Massabielle. En cette année, pour la deuxième fois, nous avons été privés des conditions concrètes de ce chemin vers la sagesse. Nous subissons le confinement comme vous tous, frères et sœurs. Les visioconférences ont été un substitut et le chapelet de Lourdes, chaque jour, nous a placés devant la Mère de la sagesse, portés par la prière de beaucoup.

Les sujets que nous avons abordés reçoivent de la parabole de ce dimanche une certaine lumière. J’en recueille déjà ceci :

« Cultiver la terre » est une œuvre de sagesse. Il y faut de l’intelligence, de la volonté, de l’énergie, de la persévérance, et la coopération de plus de personnes qu’on ne l’imagine vu de loin. Il faut aussi de la sagesse du côté de ceux et celles qui se nourrissent : quels désirs expriment-ils, quelles exigences font-ils entendre, à quelle modération de leurs concupiscences s’exercent-ils ? Car tout repas ici-bas est déjà une anticipation des noces éternelles. Tout être humain donc a droit à se nourrir de manière convenable et même réjouissante.

Les abus sexuels et les abus de pouvoir spirituel brisent la réserve d’huile qui se préparait chez un jeune enfant ou adolescent ou qu’une jeune femme ou un jeune homme avait déjà constituée. Nous sommes conscients que tous les membres du Corps de l’Église voient leur réserve être abîmée par ces abus. Nous cherchons les voies qui pourraient permettre à celles et ceux qui ont été blessés de participer pleinement à la joie des noces. L’Époux l’attend de nous.

Nous voulons le proclamer : nous ne craignons pas la fin du monde parce que nous espérons la joie des noces. Jésus, qui raconte la parabole, ne vient pas pour nous claquer la porte au nez. Personne ne vient trop tôt, saint Paul l’a affirmé des défunts qui ont précédé le temps des apôtres, et personne n’arrive trop tard ; pour tous, il y a un moment favorable pour lequel nous devons nous disposer intérieurement et qu’il faudrait ne pas manquer. Nous le comprenons : nous sommes invités à des noces, et nous n’y entrerons pas si nous manquons à la sagesse de Dieu. Car l’honneur des invités, en entrant dans la joie des époux, est d’enrichir aussi cette joie. Or, la joie de l’Époux véritable sera de nous dire : « Venez les bénis de mon Père »,

Amen