Afin de mieux comprendre la spécificité du jeûne chrétien et pourquoi il est l’un des piliers du carême, faisons un léger détour par la Bible hébraïque. En effet, le jeûne chrétien est inspiré de celui pratiqué dans la religion juive.
Le jeûne dans l’Ancien Testament
Chez les Hébreux, la pratique du jeûne était très répandue, comme l’attestent les multiples références dans les livres bibliques. Il était d’ailleurs assez fréquent que, pour faire pénitence, les repentis jeûnaient, se couvraient d’un sac en guise d’habits et se noircissaient également de cendres (voir Js 7, 6 ; Jr 6, 26 ; Lm 2, 10 et 1R 21, 27). Ceci a inspiré le rite chrétien du mercredi des Cendres.Les Cendres, un nouveau départ
Moïse et les Tables de la Loi
Le Pentateuque (Exode 34, 28 ; Deutéronome 9, 9-18) raconte les deux jeûnes de quarante jours et quarante nuits observés par Moïse. Lors de son premier jeûne, alors qu’il était sur la montagne avec Dieu, Moïse aurait reçu les deux Tables de la Loi, c'est-à-dire les Dix Commandements. Mais sitôt redescendu, et voulant partager avec son peuple ce qu’il venait de recevoir, il découvrit Israël adorant un Veau d’or. De rage, Moïse brisa les Tables de la Loi et brûla le Veau d’or. Il implora alors le pardon de Dieu pour son peuple et, une fois obtenu, il gagna de nouveau la montagne où il entreprit un second jeûne. Il y reçut de nouvelles Tables de la Loi et, en plus, la Torah (écrite et orale).Les dix commandements ou les chemins de la liberté
Yom Kippour
Cet épisode biblique est célébré, dans la religion juive, lors de Yom Kippour, le Jour de Pardon. Dix jours après Rosh Hashana (le nouvel an juif), Yom Kippour est le point culminant de cette période de pénitence au cours de laquelle l’humanité est jugée et son sort fixé pour l’année. Ainsi, pour être pardonnés de leurs péchés, les juifs sont invités à jeûner, à prier et à améliorer leur conduite envers autrui, à travers l’exercice de la charité.Le jeûne dans le Nouveau Testament
La Tentation du Christ
Au début de son ministère, Jésus part quarante jours et quarante nuits dans le désert. Matthieu (4, 1-4) nous en offre le récit :Jésus fut conduit par l’Esprit au désert pour être tenté par le diable. Après avoir jeûné quarante jours et quarante nuits, il finit par avoir faim. Alors le tentateur s’approcha et lui dit : « Si tu es le Fils de Dieu, ordonne que ces pierres deviennent des pains. » Jésus répondit « Il est écrit : L’homme ne vivra pas de pain seulement, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu. »
L’épisode de la Tentation du Christ souligne le rôle du jeûne comme un outil particulièrement efficace pour lutter contre les puissances maléfiques. Cette pratique ascétique est d’autant plus efficace si elle est utilisée en même temps que la prière, afin de convoquer la grâce divine.
À voir
Le Sermon sur la montagne
Dans le Sermon sur la montagne, après avoir délivré son enseignement sur la prière et l’aumône, Jésus délivre celui sur le jeûne :« Quand vous jeûnez, ne prenez pas un air triste, comme les hypocrites, qui se rendent le visage tout défait, pour montrer aux hommes qu’ils jeûnent. Je vous le dis en vérité, ils reçoivent leur récompense. Mais quand tu jeûnes, parfume ta tête et lave ton visage, afin de ne pas montrer aux hommes que tu jeûnes mais à ton Père qui est là dans le lieu secret ; et ton Père, qui voit dans le secret, te le rendra » (Mt 6, 16-18). Puis, plus loin : « Ne vous amassez point de trésors sur la terre, où la mite et le ver consument, où les voleurs percent et cambriolent. Mais amassez-vous des trésors dans le ciel […] Car là où est ton trésor, là aussi est ton cœur » (Mt 6, 19-21).
Ici, Jésus met en garde ses disciples contre toute tentative d’hypocrisie ou d’orgueil lorsqu’ils jeûnent. C'est pour Dieu qu’ils pratiquent l’ascèse, pas les autres. De plus, même si cela n’est pas aussi explicite, le détachement des biens matériels peut être relevé dans ses propos. Enfin, le lien entre jeûne-prière-aumône est affirmé (en référence à la pratique juive) mais aussi encouragé car, dans le jeûne, ce qui compte est d’accéder par la prière à une plus grande intimité avec Dieu, tout en servant son prochain.
Jeûner dans l’attente du retour du Christ
Le deuxième enseignement de Jésus sur le jeûne se déroule lorsque, après avoir rencontré Matthieu pour la première fois, il l’invite à sa table en compagnie de ses autres disciples. Quelques pharisiens et des disciples de Jean le Baptiste présents et en train de jeûner (Mc 2, 18) s’étonnent que ceux-ci ne jeûnent pas également :« Pourquoi nous et les pharisiens jeûnons-nous, et tes disciples ne jeûnent-ils pas ? » Jésus leur répondit: « Les compagnons de l’Époux peuvent-ils mener le deuil tant que l’Époux est avec eux ? Mais viendront des jours où l’Époux leur sera enlevé ; et alors ils jeûneront » (Mt 9, 15-18).
En se désignant lui-même comme « l’Époux », Jésus indique que tant qu’il est encore parmi les hommes, nul jeûne n’est nécessaire. Celui-ci le deviendra néanmoins à sa mort (qu’il annonce déjà) afin de sceller l’Alliance qu’il est venu établir parmi eux. La pratique ascétique du jeûne ne prend sens, donc, que dans l’absence du Christ et de l’attente de son retour à la fin des temps. Il a, ainsi, une visée eschatologique. Les jours où l’on rompt le jeûne, comme à Pâques, sont donc signe de la présence de Jésus, à travers l’Esprit Saint, parmi nous.
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